Chronique

Pierre Diaz & Trio Zéphyr

Jours de vent

Pierre Diaz, s, voix ; Delphine Chomel, Violon, voix ; Marion Diaques : alto, voix ; Claire Menguy : cello

Label / Distribution : La Buissonne / Harmonia Mundi

Découvrir un disque griffé La Buissonne, c’est déjà en soi gage d’aventure et de qualité. Le label attaché du studio de Pernes-les-Fontaines (Vaucluse), où officie le grand Gérard de Haro [1], distille des parutions perlées, soignées et qui prennent leur temps. Et la passion dont cette démarche éditoriale est empreinte, sous une identité esthétique très marquée, attire les coups de cœur.

« Fils de réfugié », Pierre Diaz est un saxophoniste rare, même s’il a notamment joué avec Dave Liebman, Ralph Alessi, le Mezcal Jazz Unit, Michel Marre ou l’Orchestre National de Montpellier. Sa rencontre, justement, avec les trois montpellieraines du trio à cordes expérimental « Zéphyr » date de plusieurs années ; mais cette fois, Delphine Chomel (violon), Marion Diaques (alto) et Claire Menguy (violoncelle) se joignent à lui pour une évocation sensible de la « Retirada ».

Cet épisode tragique de la guerre d’Espagne correspond au moment où, vaincus en Catalogne, les Républicains affluent au col du Perthus, entre autres points de passage des Pyrénées… pour se retrouver aussitôt internés dans des camps qu’il faut bien appeler « de concentration », notamment à Argelès, en janvier 39, en plein cœur d’un hiver terrible. Dans une France qui n’eut jamais le courage de prendre la défense de la République espagnole, scellant le sort de la guerre mondiale que d’aucuns continuent à dater à Munich.

Mais loin de raconter l’Histoire Jours de vent évoque l’exil à travers une musique partagée entre la couleur d’un espoir qui rechigne à s’éteindre et la flamme qui vacille dans les bourrasques du destin - ce destin qui chavire les hommes. Tout commence « Le lendemain matin » comme on se réveille d’une étrange gueule de bois portée par un violon vagabond. L’habitat du Trio Zéphyr est, paradoxalement, l’errance puisqu’il se promène sans cesse entre les Balkans et les rives sud de la Méditerranée. C’est un peu l’âme brigadiste et internationaliste de l’époque de la Retirada. Une Internationale de la nostalgie et de la carcasse du temps, qui s’empourpre soudain avec le magnifique « Abuela » [grand-mère] où, sans aucun vibrato, le saxophone à la fois clair et profond de Pierre Diaz tire tout doucement Zéphyr vers un flamenco jouant sur la perte et l’absence dans les ruptures de l’Histoire. Sans oublier le chant des musiciennes, vibrant de consonances et de sympathie avec les harmoniques des archets ou la texture en pizzicati de Claire Menguy. Un chant à l’intérieur de la musique, et d’une puissance inouïe...

Au fil des morceaux comme sur les trois photos d’époque que propose la pochette, on comprend vite qu’au-delà de la toile de fond historique, il s’agit surtout ici d’une histoire personnelle. Des archives sonores datent un propos - l’exil - qui reste malheureusement d’une totale modernité et qui, finalement renvoie moins au passé de l’Espagne qu’à la difficulté d’être l’héritier de l’Histoire. L’ensemble façonne un jazz de chambre onirique et évocateur qui travaille les timbres avec beaucoup de précision. Il y a dans Jours de vent une poésie, un lyrisme qui viennent tout droit de l’âme de l’exilé et que conte ce disque, longue lente étreinte entre le saxophone et les cordes... Magnifique.

par Franpi Barriaux // Publié le 24 janvier 2011

[1Il faudra bien un jour établir le bilan de son influence sur la qualité du son dans certaines productions jazz européennes.