Chronique

Polish Jazz Quartet

Near A Forest

Emile Parisien (ss), Bertrand Ravalard (p), Jean-Claude Oleksiak (b), Antoine Paganotti (dms)

Label / Distribution : Le Petit Label

Alors que fleurissent les projets articulés autours de la relecture du répertoire d’un artiste en particulier ou visant à embrasser une époque ou une zone géographique, le Polish Jazz Quartet se cantonne ici à réinterpréter des titres de deux Polonais, Andrzej Trzaskowski et Krzysztof Komeda. Il y a entre les deux des similitudes chronologiques (ils sont nés et on mené leur carrière à la même époque, bien qu’un tragique accident ait raccourci celle de Komeda), géographiques, on l’a dit, mais aussi stylistiques puisque chacun a procédé, par la pratique du jazz et de la composition pour le cinéma, à un enrichissement perpétuel de son propre vocabulaire, insufflant à leur musique pour images la dynamique forte du jazz contemporain d’alors, et à leur jazz la dimension narrative et parfois orchestrale des écrits qui firent le bonheur de nombreux cinéastes polonais.

C’est à l’instigation de Damien Bertrand, auteur d’un documentaire sur Trzaskowski (Andrzej Trzaskowski, le cerveau du jazz polonais), que le quartet s’est constitué en 2004. Depuis, l’effectif a changé mais l’amour que portent ces musiciens au patrimoine légué par les deux compositeurs est intact. Loin d’être affadi par sa dualité, il irradie des ces huit morceaux, quatre pour chacun, pour faire bonne mesure…

Ecrits par de fins mélodistes, les thèmes représentent de beaux points de départ, ici interprétés avec sensibilité tandis que les développements improvisés qu’ils inspirent sont majoritairement fougueux. Le tout se tient merveilleusement car les mélodies sont de celles qui s’impriment dans la mémoire de l’auditeur, et aussi puissante que soit l’énergie développée collectivement, on ne perd jamais le fil du propos. Il est d’ailleurs surprenant, a posteriori, d’entendre une telle cohérence entre l’écrit, sage et réfléchi, et l’improvisé, volcanique et débridé. Les échappées ne sont pas des brisures mais des prolongements dont la finalité est souvent un retour au thème, et par là même un retour au calme. En leur sommet, ces paraboles musicales sont d’une extraordinaire intensité, mais restent parfaitement lisibles puisqu’elles résultent d’un cheminement, chacun participant à l’effort collectif par l’épaississement progressif de son discours.

A ce jeu, les quatre musiciens se révèlent épatants. Jean-Claude Oleksiak et Antoine Paganotti sont les garants d’une rythmique chantante et enlevée, davantage tournée vers la pulsation que vers le récit, si l’on fait exception des solos remarquables mais peu envahissants de chacun, et de la belle introduction de « Svantic », délicieuse conversation. Bertrand Ravalard est lui aussi relativement économe dans ses épanchements solistes, mais ses prises de paroles ont la saveur des ingrédients choisis. Il se charge en général d’organiser les espaces et de jouer sur la tension par un jeu d’accords dense et en perpétuel mouvement. Emile Parisien, en principal soliste, trouve dans ce contexte de larges champs d’expression qui lui permettent de déployer son jeu si personnel en petites phrases nerveuses qui coagulent jusqu’à l’explosion mélodique. Son saxophone semble lui brûler les doigts, mais ses phrases sont belles comme si chaque note avait été longuement préméditée.

Servie par une prise de son impeccable (rondeur, proximité, dynamique), la musique du Polish Jazz Quartet est en tous points enthousiasmante. Et comme, au Petit Label, on fait les choses bien, la galette est présentée dans une très jolie pochette cartonnée dont l’élégance et la rugosité ne sont pas sans rappeler le côté organique, simple et généreux de ce double hommage, en tous points recommandé.