Chronique

Pulcinella

L’Empereur

Florian Demonsant (acc), Ferdinand Doumerc (sax, fl, p), Jean-Marc Serpin (b), Pierre Pollet (dms, glockenspiel, vib, monotron, métronomes), Olivier Cussac (vln, pedal steel)

Label / Distribution : Les Productions du Vendredi

Sur les neuf titres du nouveau Pulcinella, un certain nombre nous emmènent du côté de la mélancolie. Cette marque de fabrique peut, de prime abord, dérouter celles et ceux qui suivent la carrière du quartet toulousain. On l’a déjà qualifié, dans ces colonnes mêmes, de tonitruant et de malicieux. Mais voici qu’en soufflant ses dix bougies, le groupe donne le sentiment de travailler un profond spleen (cf. « L’Empereur » ou « Retour de Fleurance »), une quiétude spirituelle qui traverse le disque de part en part.

Cela signifie-t-il pour autant que sont balayés l’humour potache, la dérision, la facétie ? La réponse est non : les riffs nerveux du sax sur « Gargamel » (déjà présent sur Panthers’ Play en 2009) ou sur « Bretzel et décadence » s’inscrivent dans le droit fil des albums précédents - dont l’époustouflant Travesti (2011) -, et l’imaginaire pétillant, ironique, est le même, ainsi que les univers oniriques où interviennent des figures à la fois familières et insolites. Le changement le plus notable ici est l’arrivée de Pierre Pollet, qui prend la succession de Frédéric Cavallin. Un sacré défi ! Sa patte est plus dure, plus offensive, mais garde la touche mystérieuse du percussionniste parti vers d’autres horizons. Plus que de changement, il faudrait parler d’inflexion.

Cet album de Pulcinella, comme les autres, est foncièrement narratif. La musique se décline en autant de motifs déformés tantôt subrepticement, tantôt brutalement. Ainsi le début de « Ripaille » rappelle le musette via un accordéon dansant, mais il s’ensuit un extravagant et improbable pique-nique peuplé d’autant de cornichons et de corned-beef que celui de Nino Ferrer. De la même manière, en écoutant le sax baryton de Ferdinand Doumerc sur « L’Empereur » on s’imagine volontiers un autocrate bedonnant et rassasié, tandis que la batterie de Pierre Pollet, rusée et lourdement frappée par une chaîne sur la caisse claire, évoque une démarche gênée par l’embonpoint impérial. La verve de Pulcinella se moque, à sa manière, des grands et des puissants, et on fait aisément le rapprochement avec « Les habits neufs de l’empereur » d’Andersen.

Comme à son habitude, Jean-Marc Serpin ne se cantonne pas au rôle de contrebassiste qui « accompagne ». Signe que le quartet est le fruit d’une conception très collective, chaque instrument construit le squelette des morceaux en même temps qu’il participe à la douce et impertinente folie du quartet. De toute évidence, Florian Demonsant et Doumerc sont de plus en plus habités par leur musique. Une osmose peut-être due au fait qu’ils se produisent aussi en duo sur une musique beaucoup plus improvisée ? Le minimaliste « Pierre de folie » clôt l’album sur un délicat maelström de sons susurrés et de bribes ludiques. C’est très délicat et fort beau, un peu comme l’était « Morphée », d’abord publié sur Jazz délocalisé, une démo de 2008 maintenant introuvable, et fort heureusement rééditée sur Bestiole (2013).