Scènes

Querbes 2014… nec mergitur

La dix-septième édition du festival Les Nuits et les Jours de Querbes, entre musiques aventureuses, littérature hongroise et trombes d’eau, a sans doute précipité l’évolution du festival. Changements majeurs annoncés pour 2015.


Quand je suis arrivée à Querbes ce vendredi soir d’août dernier, le temps hésitait entre averses et crachin. Dans l’étable, le duo Bartók (Sarah Aguilar, chant et Simon Roqueta, piano) terminait son concert. J’aurais bien voulu arriver avant, histoire de capter autre chose que trois notes et une cascade d’applaudissements, mais on ne choisit pas toujours. (Ce compte rendu très partiel ne relate que les soirées du vendredi et du samedi, mais il y a beaucoup d’autres choses à Querbes : master-classes, rencontres-débats, cafés littéraires et lectures, vous devriez aller voir.)

A 19h, direction la grange pour le concert de Dzsindzsa. Bartók, Dzsindzsa… ah, je ne vous ai pas dit ? Le thème des Nuits et des Jours de Querbes 2014, c’est « Querbes Budapest ». Écrivains magyars (Zsuzsa Rakovszky, Krisztina Tóth, Imreh András), éditeurs (Cambourakis, Editions du Murmure) et musique à l’avenant.

Ádám Móser © D. Gastellu 2014

On les a déjà vus à Querbes, les remuants de Dzsindzsa, vous vous souvenez ? C’était avec Pulcinella en 2011. Le répertoire est à peu près le même qu’alors, et l’énergie pleine d’humour de Gabor Weisz (saxophones), Hunor Szabó (batterie) et Ernö Hock (contrebasse) fait toujours chaud au cœur. La formidable machine à propulser les rythmes que forment les imperturbables Szabó et Hock - copains d’enfance, pour tout vous dire - offre aux compositions du groupe une assise à la fois robuste et décontractée. La musique, mixture de jazz moderne et de musiques populaires - aussi bien pop que trad - « monte » comme une béarnaise réussie et a la même pointe d’acidité et de piquant, la même longueur en bouche.

Après Dzsindzsa, c’est l’heure du dîner sous les lampions. Comme toujours à Querbes, artistes, éditeurs, spectateurs et organisateurs se mélangent en longues tablées. On a tendu des bâches car il pleut de temps en temps. Brusquement, l’orage. Hallebardes, cordes, chiens et chats… tout ce qui peut tomber tombe, et aussi d’autres choses mal connues. Les chemins se transforment instantanément en torrents de montagne. Le technicien bâche sa console qui est pourtant en intérieur, mais les rafales font rentrer l’eau partout. Certains se réfugient dans l’étable, d’autres au sous-sol de la grange, dans le dortoir des bénévoles où l’eau monte inexorablement. Les enfants jouent à lancer des bateaux de papier sur les ruisseaux improvisés mais la fête est foutue : les bénévoles ont le moral dans leurs chaussettes trempées. Exit Harmonia Caelestis. Exit XT Trio… Je repars, triste.

Samedi soir, surprise : Querbes est ressuscitée. Ils ont tenu ! Ils ont même joué, très tard dans la nuit, après avoir écopé, épongé, essuyé ; ils ont dormi tant mal que bien sur des matelas humides, ils ont travaillé comme des forcenés pour réparer les dégâts, ils sont épuisés mais ils ont tenu. Fluctuat Querbes, nec mergitur.

On retrouve les habitudes et l’inauguration avec l’ONQ - Orchestre National de Querbes : un avatar de la Banda d’Auvergne, dont le quartier général est voisin. La « patte » querboise laisse des empreintes de plus en plus visibles sur la banda : on pourrait s’amuser à lire dans leur répertoire et dans leurs mises en scène les traces de chaque festival, comme on calcule l’âge d’un arbre aux cercles concentriques de son bois.

Ágoston Béla Quartet © D. Gastellu 2014

Dans la grange où les équipements ont tout de même tenu le coup, on retrouve Hunor Szabo au sein de l’Ágoston Béla Quartet. Une formation un peu foutraque mais rigoureusement en place qui joue Stevie Wonder à la cornemuse et du jazz au saxophone, mais aussi de la musique de rue, de cirque, de fête. Quelque part entre Bregović - en moins télévisé - et la Campagnie des Musiques à Ouïr, avec un sousaphone (István Rózsa), un accordéoniste sévèrement allumé (Ádám Móser) et un multi-soufflant qui ne dédaigne pas de pousser la chansonnette en la personne du leader, Béla Ágoston. Le concert mélange hardiment les genres avec le sourire en coin des vieux briscards, et on aime ça.

Dîner sous les lampions, puis Edouard Ferlet entreprend le Steinway qui n’attendait que lui. Think Bach, cet exercice périlleux de révérence au Cantor de Leipzig, est tout sauf la mise en scène narcissique d’un jazzman omniscient. Mutin, taquin et totalement dénué de cette feinte humilité qui trahit les cuistres, Edouard Ferlet se joue des œuvres de Bach à la manière d’un Queneau ou d’un Perec : en tirant du texte musical les fils d’un tricot en devenir, en se donnant des contraintes formelles, parfois mathématiques, qui le libèrent face à la statue du Commandeur. Il vous explique ce qu’il a fait, pas pourquoi, et vous offre le résultat. Son jeu net et sensible et son irrésistible musicalité font le reste : on ressort tout léger et tout ragaillardi.

Edouard Ferlet © D. Gastellu 2014

Je n’ai pas vu toute l’édition 2014 de Querbes : après ce concert il y en avait d’autres, et encore un dimanche. Mais je ne terminerai pas ce tardif compte rendu sans vous parler de Querbes 2015.

Le déluge de l’été aura sans doute été le déclencheur d’une mutation qui s’annonçait depuis déjà quelques années. Le hameau de Querbes est certes un endroit unique et historique, puisqu’il est le berceau du festival et son lieu éponyme, mais il présente beaucoup de contraintes qui l’empêchent de se développer - taille de la grange, difficulté d’accès, stationnement et repli aléatoires en cas de mauvais temps… Il a donc été décidé cet automne, sous l’impulsion du Président de l’association, Jean-Paul Oddos, que Les Nuits et les Jours de Querbes se tiendraient désormais à quelques encablures, dans le village d’Asprières. Un grand changement qui ouvre un nouveau chapitre du festival : premier épisode du 6 au 9 août 2015.

Et pour les inconditionnels de « Querbes-Querbes », il restera les soirées et concerts « Au coin du cantou », tout au long de l’année. Je me suis laissé dire qu’on y entendra le magnifique « Birds of Paradise » d’Olivier Py le 25 avril prochain. Et l’Aveyron est superbe au printemps.