Chronique

ROJI

The Hundred Headed Women

Gonçalo Almeida ; bass and loops | Jörg A. Schneider ; drums & Susana Santos Silva ; trumpet | Colin Webster ; baritone sax

Label / Distribution : Clean Feed

Roji [露地] littéralement « sol couvert de rosée », est le nom japonais employé pour désigner le jardin qui mène au chashitsu pour la cérémonie du thé.

De cérémonie du thé, il n’est pas vraiment question sur ce disque mais on peut aisément imaginer le sol couvert de rosée. En effet, le duo basse-batterie déroule un épais tapis sonore, mouillé par les cymbales et la basse lascive, les boucles électroniques et le cycle lent des structures mélodico-rythmiques. On s’y enfonce lentement, comme dans la mousse.

La musique monte en puissance au fur et à mesure dans un bruissement démultiplié par les différentes superpositions de voix. Sur le disque, la trompettiste portugaise Susana Santos Silva et le sax baryton anglais Colin Webster sont invités sur trois titres chacun, en alternance pour apporter une touche plus mélodique à l’ensemble. Cet ensemble a des faux airs de Ummagumma parfois, pour ses lentes montées en puissance, sa batterie très portée sur les cymbales et la basse rock, un peu lâche. Mais on y entend également les tensions et l’ambiance de Yo la tengo et on se plaît à penser que certains morceaux feraient une bonne B.O. pour Ghost Dog de Jim Jarmusch.
Voilà un disque bien visuel, bien charnel aussi, qui s’écoute comme un film. Gonçalo Almeida est un bassiste très sérieux et inventif qui utilise avec précision et bonne intention les effets électroniques. Le batteur, Jörg A. Schneider, fait beaucoup avec peu, ce qui est la marque des bons musiciens. La prestation de Susana Santos Silva laisse entendre une grande maîtrise dans les graves : sa trompette gronde et racle comme un fauve, et elle obtient des effets acoustiques de battements et d’harmoniques qui se lient aux pulsations de la basse. On retrouve par ailleurs Almeida et Santos Silva dans le groupe LAMA : ces deux-là se connaissent déjà très bien musicalement, ça aide.

Encore une fois, c’est Clean Feed qui produit cette musique, avec autant de passion que de soin.
Les musiques libres s’épanouissent aussi loin, de l’autre côté des Pyrénées, tendez l’oreille.