Chronique

Raphaël Imbert

Music is my home

Label / Distribution : Jazz Village

C’est en sillonnant le Sud des Etats-Unis pour ses recherches que le saxophoniste et anthropologue Raphaël Imbert a eu envie d’apporter sa pierre à l’édifice des bouillonnements culturels dont il était témoin. Blues, cajun, bluegrass, country, jazz… depuis plusieurs années déjà, il s’est immergé dans les espaces de la musique populaire américaine, de la Nouvelle Orléans aux montagnes des Appalaches. Là, il avait déjà rencontré Paul Elwood avec qui il a fait l’album The Alppalachians sorti en 2015. Le principe était né : inviter des musiciens américains à enregistrer aux côtés de musiciens français, notamment des membres de la compagnie Nine Spirit fondée par Imbert en 1999.
Dans la quelque cinquantaine de pages du livret, il explique que de 2011 à 2013, il a été missionné par le laboratoire d’anthropologie de l’histoire et de l’institution de la culture dans le cadre d’un projet de recherche, IMPROTECH, initié à l’EHESS. Music Is My Home est le versant musical de ce projet à géométrie variable. Une matrice de rencontres dont cet « Act I » n’est que la première expression.

Et quelle expression !
Ces rencontres croisées enregistrées au studio Durance, dans le sud de la France, témoignent de l’extraordinaire diversité du creuset de la culture populaire américaine. « Populaire », Raphaël Imbert y tient, à ce mot : c’est une musique qui vient d’un peuple et d’un territoire. Les hommes y parlent des hommes.
« Black Atlantic » évoque le souvenir des disparus de la traversée de l’Atlantique, ou Passage du Milieu, pendant la traite négrière. Dans le blues « The Mighty Flood », Alabama Slim raconte sa terrible expérience de l’ouragan Katrina. « MLK Blues » fait référence à Martin Luther King, « Help Me Lord » au combat commun pour les droits civiques des Juifs et des Noirs… L’ « Atlantique noire » chère à Paul Gilroy est ici bien représentée : aux côtés des bluesmen Alabama Slim et Big Ron Hunter, on trouve la chanteuse et violoncelliste créole d’origine haïtienne Leyla McCalla et la chanteuse de la Nouvelle Orléans d’origine cajune Sarah Quintana.

Avec Pierre Fénichel, Marion Rampal (déjà présents tous deux sur The Alppalachians), Simon Sieger, Thomas Weirich, Alain Soler (également directeur artistique du disque avec Raphaël Imbert) et la magistrale Anne Paceo, ils explorent tous les registres, toutes les émotions. Du sacré opératique (« Help Me Lord » de Langston Hughes, composé pour l’opéra The Barrier de Jan Meyerowitz) à la mélancolie (« Please Don’t Leave Me »), en passant par la pure joie de vivre (« Going For Myself »), Music Is My Home raconte l’histoire de ce peuple déraciné qui s’est retissé un foyer à travers sa musique, et de tous ceux qui, comme Raphaël Imbert, épousent leur point de vue : celui d’une alternative à la culture dominante qu’elle soit séculaire ou ultra-moderne.

Au dos de la pochette, casquette titi, pantalon flottant, Raphaël Imbert regarde l’eau immobile du bayou louisianais, berceau direct ou indirect de toutes les musiques dont il est question ici.