Sur la platine

Raw Tonk, tout cru


Depuis huit ans, avec une discrétion toute underground, le label Raw Tonk documente largement les tribulations d’une famille musicale européenne aux franges de la noise, du free jazz et du drone. Lancé par le saxophoniste anglais Colin Webster, on y retrouve régulièrement des personnalités incontournables comme les belges Dirk Serries et Martina Verhoeven dans des jolies pochettes sérigraphiées en kraft. Un classique du genre, véritable parti-pris artistique.

Dirk Serries est un architecte sonore, générateur de son, capable de cascades et de cataractes, comme on l’entend dans son duo Outermission avec le batteur George Hadow. Un son rauque, déstabilisant, mais d’une grande pureté. Les amateurs d’ambient music le connaissent mieux sous le pseudonyme de Vidna Obmana, à la fois si loin et si proche des saxophones de Colin Webster, à proximité du cri, comme on l’entend dans The Claw, son duo inaugural avec le batteur Mark Holub ; des parentés avec un rock rugueux et le son le plus brut, mais aussi une acrimonie chez l’Anglais qu’on ne retrouve pas chez le Belge. Le deux savent néanmoins s’unir, plongeant conjointement dans le bain d’acide de Gargoyles, furieux et joyeusement outrancier.

Parmi les autres figures du label, on trouve la Suédoise Matilda Rolfsson qui a fait du tom basse une œuvre d’art à part entière. Habituée au solo, sur une batterie réduite où le gros tambour est central s’il n’est pas unique, elle aime les ambiances minimalistes. C’est ce que lui offre par exemple le trio Ma/Ti/Om avec Tim Fairhall à la contrebasse et Tom Ward à la clarinette basse et à la flûte. Ce disque, enregistré à Londres en 2017, est l’une des belles surprises du label : orienté vers les profondeurs extrêmes du son, la flûte de Ward seule offrant un peu de légèreté à un trio qui aime à s’engluer dans les basses intenses, entre les langueurs de l’archet et les ronflements de la clarinette. Le disque est puissant, de ceux qui étourdissent, à l’image de Ideal Principle, récente sortie du label.

Sur ce disque, c’est sans surprise et avec plaisir que l’on découvre le saxophoniste texan John Dikeman venir animer un quintet où l’on retrouve Hadow, Serries et Verhoeven. Pour clore la liste, le trompettiste lusitanien Luís Vicente vient apporter sa science du souffle et son jeu d’embouchure très travaillé. Ils se connaissent bien, on les avait entendus ensemble dans Twenty-One, paru chez Clean Feed. Ici d’ailleurs, dans ce disque orné d’une météorite, on retrouve leur complicité dans « Ideal » qui tutoie un silence zébré par les décharges aléatoires de Dirk Serries à la guitare. Basé sur des temps longs, sur des développements réfléchis jusque dans la spontanéité des interventions, cet orchestre illustre à merveille l’équilibre entre les éclats soudains et la méticulosité d’une base rythmique taciturne mais extrêmement structurée. Le disque est profond, nerveux, plein de vigueur, tout comme cette scène européenne incarnée par ce label prolixe qui garantit toujours de bienheureuses explosions.