Chronique

Rémi Gaudillat / Jean-Philippe Viret

D’une Aube à l’Autre

Rémi Gaudillat (tp, flh), Jean-Philippe Viret (b)

Label / Distribution : Instant Music Records

D’une aube à l’autre il y a, tautologiquement, une journée de passée. Mais lorsqu’on choisit l’aube comme unité de mesure, c’est qu’on y inclut la nuit, et que celle-ci n’est pas concernée par le sommeil. C’est exactement ce que suggère la rencontre entre le trompettiste Rémi Gaudillat et le contrebassiste Jean-Philippe Viret : une nuit blanche sans euphorie inutile qui se concentre sur le douceur, une discussion intarissable qui parfois chuchote avec beaucoup de tendresse, à l’image de « Petite Danse », placé au centre de l’album. Gaudillat semble caresser une certaine mélancolie pendant que Viret tente de le raisonner avec douceur par des pizzicati légers, économe dans les gestes mais pas dans l’émotion. Une sensation qui traverse tout l’album, avec un soin particulier à ne pas bousculer l’autre.

Il n’est pourtant pas affaire de précaution, et l’intense « Rien en face » est là pour en témoigner. Pareillement, « En friche » démarre avec une certaine rudesse, mais jamais l’un des deux improvisateurs ne cherche à prendre l’ascendant sur l’autre. Au contraire, les lignes mélodiques de la trompette comme de la contrebasse font songer à deux cordes que l’on cherche à dénouer, à exposer le plus clairement et le plus brillamment possible. Un sentiment qui perdure dans le bel « Araucaria » où Viret change de registre à l’archet et sonde les profondeurs de l’instrument, offrant soudain beaucoup de relief à Gaudillat. Le membre du collectif rhodanien Les Improfreesateurs, à qui l’on doit le magnifique Canto de Multitudes en profite pour proposer une direction plus lyrique, qui ne rompt pas néanmoins avec la sérénité du duo.

La musique de Gaudillat et Viret est chambriste, c’est un fait. Mais ce n’est pas le moment de dormir, qu’importe l’heure avancée. « Frémissement » fait songer à ce moment particulier où l’on ressent physiquement les premières couleurs du jour ; de la même façon, les « Improvisations » offrent d’éprouver les pertes de repères d’une aube à l’autre, la recherche d’un autre équilibre dans la journée à venir. Un lendemain porteur d’espoir. Ce disque, conjointement dédié à Greg Gensse et Jean Aussanaire - deux voix qui manquent dans le paysage du jazz européen - est une belle rencontre. De celles qui étonnent dans un premier temps et clament leur évidence au bout de quelques notes.