Chronique

Renou, Donarier, Lemêtre

Adieu mes très belles

Poline Renou (voix), Matthieu Donarier (cl), Sylvain Lemêtre (percussions)

Label / Distribution : Yolk Records

Donnant suite au disque Kindergarten (2009 chez Yolk), le duo de Matthieu Donarier et Poline Renou s’élargit en trio avec la venue du percussionniste Sylvain Lemêtre et donne à entendre un répertoire atypique constitué de pièces vocales européennes allant des monodies médiévales à la Renaissance tardive (sont ainsi convoqués Gilles Binchois, Michelangelo Rossi, Vincente Lusitano, Claude Lejeune ou encore des airs anglais ou irlandais). L’association voix, clarinette et percussions réactive ainsi leurs propriétés naturellement mélodieuses et fragiles et, sans jamais les dénaturer, jette un pont entre deux époques. La pureté des timbres et le sens de l’espace favorisent la circulation en baignant l’oreille dans une atmosphère sensuelle de rêve et de douceur.

C’est pourtant dans le déroulement du programme que le propos prend son entière dimension. L’alternance avec les parties contemporaines improvisées donne, par effet de contraste et d’écho, un éclat plus touchant encore à ces compositions. Loin d’être binaire (il suffit d’écouter le complexe “Heu Me Domine” pour se convaincre que le moderne est aussi dans le passé), cet enchâssement est une promenade dans une chapelle hybride où se mêlent styles anciens et modernes, à l’instar de cette société du XVIè siècle qui se ressource aux écrivains, peintres et architectes de l’Antiquité pour inventer, avec la Renaissance, un langage neuf.

Dans une proximité parfois troublante de la voix de Renou et de la clarinette de Donarier, les contre-chants, les contre-lignes sont autant de mélismes et d’arabesques qui insufflent de la vie. Ils allègent et rehaussent le discours et, dans le même temps, le gonflent de mystère. Lemêtre, quant à lui, trouve aisément sa place grâce à une maîtrise claire des fonctions pulsatiles, coloristes ou dramatiques avec intelligence et sensibilité. Facilité par la circulation sereine du son, le trio explore les à-côtés du propos sans jamais dévier de la ligne principale.

Chaque événement déploie ses ondes avec lenteur et la moindre oscillation se confond ou souligne celles qu’elle croise sur sa route. Sans identitarisme bête, en s’appuyant sur la mémoire enfouie d’une identité européenne, les musiciens parviennent à dépasser du même coup leur matériau et atteignent ce qui devrait être la finalité de toute musique : l’élégance du geste.