Chronique

Rêve d’Éléphant Orchestra

Odyssée 14

Pierre Bernard (fl), Jean-Paul Estiévenart (tp, flh), Michel Debrulle (dms, perc), Nicolas Dechêne (g), Michel Massot (tb, tu) , Etienne Plumer (dms, perc, elec), Stephan Pougin (dms, perc)

Label / Distribution : De Werf

On sait tout, depuis notre enfance de l’éléphant d’Afrique ou de celui d’Asie. Sa trompe, ses défenses… Mais qu’en est-il du spécimen liégeois ? Il nous est bien moins familier… une lacune à laquelle nous devons vite remédier ! C’est une espèce vive et colorée, à l’image de la ville en bord de Meuse qui l’a vue naître. Il ravit par son agilité et sa nature fanfaronne. Les sept musiciens qui constituent le Rêve de l’Éléphant Orchestra (REO) distillent une musique bigarrée et sans frontières ; foncièrement belge, donc. Les vieux complices Michel Debrulle et Michel Massot, membres historiques du Trio Grande et du Collectif du Lion, ont fondé cet orchestre à trois batteurs et autant de soufflants séparés par la guitare de Nicolas Dechêne en 2001, date de la sortie de Racines du Ciel. Odyssée 14, le quatrième, fête donc un anniversaire : 14 ans. Il serait tout de même fâcheux de faire comme tout le monde.

Mais le nombre représente aussi le 14e siècle, ou du moins ses environs, ainsi que le cheminement musical de l’éléphant qui dodeline jusqu’à notre futur. Le passé, on le déniche dans ces citations régulières de la Folia de Marin Marais qui ponctue l’odyssée comme une ritournelle. Ainsi, dans l’excellent « Chanson Bonne Fille / Tavern Song », la flûte de Pierre Bernard et la trompette au timbre très clair de Jean-Paul Estièvenart traversent le temps à dos de pachyderme à une vitesse supersonique, à peine empesées de quelques particules de rock progressif. On sait le trompettiste très à l’aise avec la musique ancienne. Il l’avait démontré avec Summer Residence. Quant au futur, il se présente sous un jour plus apocalyptique, inspiré du Naked Lunch de William Burroughs. Le texte chuchoté par David Hernandez, un des deux chanteurs invités par l’orchestre, est encadré par les rythmes insatiables de Stephan Pougin et Etienne Plumer, qui rejoignent Debrulle.

Car ici le texte est le troublant invité. Entre les compositions pleines de finesse de Michel Massot (remarquable dialogue d’embouchures sur « La folle impatience »), on découvre quelques textes choisis. Cela court de la pantomime d’ombres mystérieuses de Rimbaud, chantée par Thierry Devillers (douce mise en musique de Parade), aux Tragédies Shakespearienne (« The Wind And The Rain »). Le verbe est le moteur de cette oeuvre très théâtralisée. C’est avec un texte de Pablo Picasso, tiré de sa pièce Le désir attrapé par la queue, que le REO parvient au sommet de son Odyssée 14 (« Folie ! Folie ! Folie ! »). Ce collage surréaliste est un biotope idéal : il y est question de rêves repeints en couleurs d’aquarelles et de crevettes. Pourquoi pas un scampi ? [1] La question est centrale. Car le disque, derrière ses fulgurances et ses éclats de rires, recèle un fameux jeu de piste qui ravira ceux qui avaient précédemment connaissance de la discographie du septet, et incitera les autres à la curiosité. L’éléphant est doué de mémoire, c’est une chose entendue. Il n’y a que ces liégeois pour le transformer en un danseur étoile.

par Franpi Barriaux // Publié le 13 décembre 2015

[1Du nom du précédent album du REO : le scampi est ce que les français ont la désagréable manie d’appeler langoustine.