Chronique

Robert Glasper Experiment

ArtScience

Robert Glasper (p), Casey Benjamin (saxes), Derrick Hodge (b), Mark Colenburg (dm)

Label / Distribution : Blue Note

Il y a des disques qui ne démarrent jamais, d’autres qui prennent infiniment de temps pour se lancer, d’autres aussi qui commencent sans nous. Le nouvel album du quartette américain est de ceux-là. Dès la première seconde, on se trouve jeté au beau milieu d’un set qui vit peut-être ses instants de fièvre les plus intenses : un piano en pleine divagation, une contrebasse frénétique, un saxo qui s’envole et une batterie qui casse plus la baraque qu’elle ne tente de la soutenir ; on s’apprête à partir vers un de ces concerts joyeusement anarchiques dont l’hommage de Robert Glasper à J Dilla donnait peut-être une idée… puis, au milieu d’accords de piano sagement plaqués une voix synthétique émerge, et bientôt une foule tout aussi lointaine se met à vibrer, un beat apparaît, et, au bout de quelques minutes, une autre face du disque se montre. Le disque a tourné sur lui-même. On a quitté la scène. Un R’n’B aussi lourdement sentimental − tout y est très love à défaut d’être terriblement sensuel − que piteusement convenu − les vocoders et slaps de basse de Daft Punk sont passés par là − est maintenant aux commandes. Il ne lâchera plus le moindre morceau sur les douze plages qui restent.

Étrange… le groupe qui nous avait habitués dans ses réalisations précédentes, Black Radio, I & II, à un riche travail de collaboration (Erykah Badu, Norah Jones ou Snoop Dogg) ainsi que d’affirmation d’une seule et même Black Music au travers de ses multiples genres, en réduit ici tout le foisonnement. Peut-être est-ce le fait du groupe qui pour la première fois interprète vocalement ses compositions ? Quoi qu’il en soit, ce ne sont pas quelques élucubrations « saxophonistiques », un peu de Funk par-ci, un peu de Hip Hop par-là, ou même de trop courtes trépidations sur le clavier façon Drum’n’bass qui parviendront à nous faire sentir la folle communauté de tant de richesses. On l’aura donc compris, si ce disque parle d’amour, c’est sans doute du nôtre dont il aura vraiment besoin.