Chronique

Romain Villet/Carino Bucciarelli

My Heart Belongs To Oscar/Mon hôte s’appelait Mal Waldron

Le Dilettante/Editions M.E.O.

Ces deux livres (dont l’un est annoncé comme « roman ») ont pour objet deux pianistes de jazz, Oscar Peterson d’une part et Mal Waldron de l’autre. Ils ont aussi en commun de proposer une approche originale de leur objet, dans le premier cas sous forme d’une sorte de conférence rêvée/jouée (mais pas enregistrée) autour de la figure d’Oscar Peterson, dans l’autre cas sous forme d’écriture, l’auteur (Carino Bucciarelli) n’en étant pas à son coup d’essai dans le domaine de la poésie, plus généralement de la littérature, et ayant trouvé dans l’histoire de Mal Waldron de quoi satisfaire largement sa passion de la mise en abyme, dont les auteurs contemporains ont fait largement usage.

Depuis Alain Gerber, on sait que le jazz est un roman. Avec Romain Villet, pianiste, concertiste, on sait désormais qu’il est aussi un concert d’un type un peu particulier. Une sorte de concert décrit, raconté. On saura ce qui va être joué ; le musicien nous le présente longuement par écrit, mais pas une note de musique ne sortira du livre. Ce qui est, avouons-le, rassurant. Quoiqu’on puisse imaginer qu’un jour, livre et disque ne fassent plus qu’un. En attendant, Romain Villet déclare sa passion musicale à Oscar Peterson et au jazz sous forme de trois textes, le premier (le plus long) comme une conférence écrite présentant les morceaux qui vont être joués - que vous n’entendrez pas - le deuxième rapportant la conversation imaginée entre le pianiste et un auditeur passionnément curieux de ce qui se joue lors d’un « set », le troisième consistant en des variations sur le thème « pourquoi le jazz ? ». Une lecture vaut-elle une écoute ? La question est posée.

Mais depuis Alain Gerber, les écrivains ont beaucoup travaillé la question de l’écriture. Dire aujourd’hui que le jazz est un roman ne suffit plus, surtout dans le cas de ce pianiste qui, au réveil d’un coma causé par un excès de consommation de substances destinées à des voyages chimiques, se retrouva radicalement privé de la plus élémentaire mémoire de son identité. Mal Waldron (c’est lui) est donc le cas idéal pour qui aime à jouer du « pouvoir » de création de l’écrivain et de la sacro-sainte écriture : apparition, disparition, jeu avec le « je », je suis ici, je n’y suis plus, je suis le maître du jeu, attrapez-moi si vous pouvez. Au passage, on apprendra quand même que Tokyo Bound est le plus bel album de Mal Waldron, et qu’il est relativement difficile à trouver. Le désir peut alors pointer le bout de son nez…

L’écriture un peu contournée de ces deux ouvrages nous a fait les chroniquer d’un seul tenant. Ils sont en tous cas la preuve que le jazz reste bien cette musique qui questionne l’art comme peu d’autres ont su le faire dans le siècle dernier. Au point que s’il fallait un signe tangible de ce qu’il est impossible de l’achever, on le trouverait précisément là, dans cette résistance à toute forme de passage d’une sensualité à une autre.

par Philippe Méziat // Publié le 21 avril 2019
P.-S. :

Romain Villet, « My Heart Belongs To Oscar », Le Dilettante ed. 80 pages
Carino Bucciarelli, « Mon hôte s’appelait Mal Waldron », roman, M.E.O. ed. 130 pages, 15 euros.