Chronique

Roofer

Moscow Files

Luca Sisera (b), Yves Theiler (p), Alexey Kruglov (as),Michael Jaeger (ts), Maurus Twerenbold (tb), Michi Stulz (dms)

Label / Distribution : Leo Records/Orkhêstra

Roofer, en anglais, c’est le couvreur. On pourrait se lancer dans toutes sortes de métaphores filées pour qualifier le quintet du contrebassiste Luca Sisera, qu’on a eu déjà plaisir à entendre avec Yves Theiler ou Michael Jaeger, deux musiciens que l’on retrouve ici. Mais de la notion de toiture, il faudrait ne garder que deux concepts pour nourrir l’idée que l’on se fait de ces Moscow Files, série de huit pièces totalement improvisées et brutes de décoffrage. Le propos charpenté, tout d’abord, qui met en scène le tromboniste Maurus Twerenbold et Sisera lui-même, deux solives saillantes dans « Re :Foo ? Roofer ! » qui maintiennent la ligne de crête pendant tout l’album. La notion de sommet ensuite, gigantesque climax qui trouve son point haut avec « use caps, slee, free jazz. A jeer feels space.su », où l’ensemble du groupe se plie aux coups de boutoir du batteur Michi Stulz qu’on a entendu notamment avec Christoph Irniger dans un registre moins enflammé.
 
Si les cinq Helvètes ont nommé leur album Moscow Files, ce n’est pas parce qu’il y a derrière une quelconque histoire d’espionnage plus ou moins nébuleuse. Au contraire, tout est clair, précis, sans concession et livré tout cru dans le martèlement du piano de Theiler sur le très beau « We’re REW », où il joue avec l’alto d’Alexey Kruglov, présent invité qui justifie à lui seule l’emballement moscovite. Cet illustre improvisateur russe a l’habitude des invitations : on l’avait récemment entendu avec le Clarinet Trio pour une autre escapade slave. Dans cet album très collectif, on reconnaît néanmoins sa patte sur l’intense « Maurus sur U.am », dans un jeu à fleuret moucheté avec Twerenbold qui est un tromboniste à suivre, aux techniques époustouflantes.
 
Mais la grande contribution de Kruglov dans ce disque s’attache aux titres. On remarquera qu’ils paraissent cryptiques à la première lecture, mais qu’ils sont en fait des palindromes un peu cabossés. On y verra comme une sorte de continuité, un bouclage, voire une réciprocité qui donne aux prises de parole des improvisateurs une sensation d’infinitude parfaitement accordée à cette jeune et talentueuse équipe prête à tutoyer les sommets. On n’en attendra pas moins de la part d’un couvreur…