Chronique

Roscoe Mitchell

Composition/Improvisation Nos. 1,2 & 3

Roscoe Mitchell (ss), Evan Parker (ts, ss), A. Svanoe (as, bs), C. Wilkes (tp, bugle), J. Rangecroft (cl), N. Metcalfe (fl), N. Bultmann (vla), Ph. Wachsmann (vln), M. Mattos (cello), C. Taborn (p), Jaribu Shahid (b), Barry Guy (b), Paul Lytton (dm, perc), T. Tabbal (dm, perc)

Label / Distribution : ECM

En 1933, Arnold Schoenberg définissait la composition comme « improvisation ralentie », ajoutant que, bien souvent, l’écriture du compositeur était trop lente pour suivre le flux des idées.

Trente ans plus tard, l’avant-garde jazzistique définit l’improvisation comme composition instantanée. C’est de ce rapport dialectique que part Roscoe Mitchell lorsqu’il écrit cette longue pièce - audible ici dans une version en neuf parties de durées inégales - et qu’il la nomme Composition/Improvisation. Le signe / figure ici quelque chose comme un rapport de réversibilité, la possibilité de définir chaque terme par son voisin qui est aussi son contraire. Improvisation et composition sont les deux faces d’une même pièce, dit-il.

Le Transatlantic Ensemble de Mitchell réunit des musiciens de son propre Notes Factory ainsi que de l’Electro-Acoustic Ensemble d’Evan Parker, présent ici aux saxophones ténor et soprano. Ce projet naît dans le cadre d’un colloque sur la musique improvisée organisé en 2004 par l’Université Ludwig Maximillian de Munich. Lectures, débats, ateliers, conférences et expositions forment la substance de ce colloque, auquel il faut ajouter deux concerts du Transatlantic Ensemble, le premier dirigé par Evan Parker, le second par Roscoe Mitchell.

Ce disque fait donc entendre neuf fragments de la composition de Mitchell, réassemblés en suite continue. Le matériau provient soit des répétitions, soit du concert. Mitchell parle ici de scored improvisations : improvisations transcrites sur partitions. Certaines parties sont, en effet, entièrement écrites, tandis que d’autres laissent aux interprètes une liberté plus ou moins grande (mais toujours calibrée), appliquée à un soliste, un sous-ensemble de musiciens ou l’orchestre entier. Pour les faire interagir, Mitchell a élaboré trois méthodes : 1) Chaque instrumentiste a à sa disposition une partition ainsi que six cartes contenant chacune une scored improvisation ; 2) les musiciens ont sur leur partition un nombre limité de notes avec lesquelles ils doivent improviser ; 3) Mitchell demande aux musiciens de prélever dans la composition elle-même les informations qui les intéressaient et d’improviser à partir d’elles.

Le résultat est une pièce totalement libre mais parfaitement lucide quant aux principes qui la structurent. Ouverte et guidée à la fois, elle a davantage à voir avec une forme de musique savante contemporaine qu’avec du jazz à proprement parler. Hormis quelques brefs moments de saturation chaotique où les musiciens jouent ensemble et s’en donnent à cœur joie pour provoquer un réjouissant tintamarre, Composition/Improvisation Nos. 1, 2 & 3 est une œuvre plutôt calme, volontiers méditative, où le filet des cordes rivalise en discrétion avec des cuivres parcimonieux. C’est surtout un beau moment de musique, libre, intelligent, hypnotique.