Chronique

S. Noelle 4Tet + Donny Mc Caslin

Across The River

Sebastian Noelle (g, compositions), Javier Vercher (ts, fl), Donny McCaslin (ts, ss), Ben Street (b), Ari Hoenig (d)

Label / Distribution : Fresh Sound Records

Allemand mais new-yorkais d’adoption depuis cinq ans, le jeune guitariste Sebastian Noelle enregistre en 2006 son quatrième opus en tant que leader.
Musicalement, ses influences sont variées puisqu’elles vont de Bob Dylan à Miles Davis et John Scofield en passant par Hermeto Pascoal, Egberto Gismonti, la musique contemporaine et le folklore des Balkans. Dans les atmosphères et les accompagnements , on retrouve chez Noelle un peu de Ben Monder. Dans les chorus, Pat Metheny et Adam Rogers sont aussi un peu présents. Les comparaisons ne peuvent guère aller plus loin car Noelle a une patte propre. Son style est précieux et flou et attise l’intérêt de ses pairs new-yorkais.

Sans être le disque de la maturité, Across The River signe le style très particulier de ce guitariste : à l’instar de Donny McCaslin, son jeu explore de nouveaux horizons rythmiques, plutôt tirés de ses inspirations hors jazz et réarrangés, et dépasse les frontières des harmonies traditionnelles.

L’ensemble est déconcertant ! Il s’agit moins d’une démonstration de force que d’une palette de couleurs et de nuances développées au sein d’un style peu varié. Noelle a écrit toutes ces pièces lors d’un voyage au Japon, source de son inspiration. On trouve ici des riffs d’origines musicales différentes mais utilisés selon le même schéma : la guitare doublée d’un sax - celui de McCaslin ou de Javier Vercher qui enchaîne ensuite sur un chorus très construit autour des accompagnements délicats et harmoniquement personnels de Noelle. Le tout confère une couleur globale persistante à l’album, sauf peut être la ballade d’apparence classique mais étonnante dans les harmonies, « Across the River" où, pour une fois, les deux saxophonistes jouent sur la même plage.

Tout est dans la nuance, la subtilité. Le groove, dont Ben Street est le principal garant, est présent tout au long de l’album mais de manière tacite : on ne l’exploite pas pour le faire exploser, mais on ne l’ignore pas (« Papillon », « Alpha et Omega ») pour autant. Pas de dissonances « subversives » ou auditivement provocatrices : elles sont floues et trompeuses - présentes mais discrètes, tendancieusement subtiles et surprenantes, afin que l’oreille s’y habitue peu à peu. Même flou dans les arrangements, ce qui permet au quartet de s’exprimer de manière libre et unique (« People Need People », « Liquid Truth ») et laisse espérer des concerts créatifs.

Enfin, en dehors de Vercher, tous les musiciens sont complémentaires, particulièrement la paire rythmique. Noelle fait la part belle aux saxophonistes en leur laissant de belles plages d’expression. Autant McCaslin envoie des chorus impressionnants et semble prendre le leadership sur certaines pièces, autant Vercher écoute son leader et enrichit son discours en respectant l’ambiance globale sans la transcender. Ari Hoenig joue à baguettes feutrées sur l’ensemble de l’album. La structure des pièces offre de l’espace à tous et met en évidence sa finesse de jeu ; on se plaît alors à décomposer la richesse des schémas rythmiques.

« Across The River » est un album apaisant et insolite où l’on va de surprises en surprises… si on tend bien l’oreille.