Chronique

Sakay

Antipodes

Christian Pruvost (tp), Jérôme Descamps (tb), Nicolas Mahieux (b), Peter Orins (dms)

Label / Distribution : Circum Disc

Sakay, c’est une rivière de Madagascar, mais c’est également le nom d’un piment des mêmes origines. Aux Antipodes, donc, comme l’annonce le titre du premier album de cet orchestre sorti sur le label Circum, qui décidément ces derniers temps fait dans la géographie. Un mélange de fraîcheur et de piquant qui définit parfaitement un quartet versatile. On y retrouve la partie française de Kaze avec Peter Orins à la batterie et Christian Pruvost à la trompette, dans une démarche plus paisible mais tout aussi réactive au moindre son, comme aux gammes successives de frottements et de souffles. Le jeu de sourdine de Pruvost, toujours cinglant, s’accorde à merveille avec le tromboniste Jérôme Descamps dont l’instrument est tour à tour un fil d’Ariane fragile et un mégaphone de sensations capable de jouer dans les registres les plus étendus. En témoigne le brûlant - au sens strict - « Étincelles Sidérurgiques » ou les deux cuivres rivalisent d’énergie pour creuser les tréfonds du son.

Professeur à Tahiti, aux Antipodes là aussi, Descamps dialogue avec les Nordistes sans notion de distance. De Lille à Papeete, la patrie de ces musiciens est sans frontières établies et navigue en liberté. Pour clore le quartet, on retrouve le contrebassiste Nicolas Mahieux, dont le rôle est ici véritablement structurel. Avec Peter Orins, qu’il connaît bien pour mener avec lui le cœur rythmique du Quartet Base, il encadre et exalte l’apparente placidité des soufflants, à l’instar de cette ribambelle d’accélérations et de décélérations que l’on distingue sur « Distribution des cartes ». Le résultat est immédiat : à partir d’un filet de vent, les embouchures se lancent dans un discours plein de tension.

Là où Kaze déchaînait les éléments, Sakay examine la microstructure. Chaque mouvement, fût-il microscopique, modifie durablement l’ensemble. Les titres des morceaux, de « L’atome prend chaud  » où l’archet de Mahieux se confond aux growls du trombone, doucement altéré par les crissements de cymbales d’Orins jusqu’à « Fusion sous glace » en sont de parlantes illustrations. On songe à ce que l’on a pu entendre dans Les arbres ont bougé dans la nuit, et plus globalement dans de nombreuses productions de cette partie de l’improvisation européenne qui fait de toute matière sensible un sujet d’expérience. Une belle rencontre.