Scènes

Samy Thiébault 4tet au Manu Jazz Club

Jeudi 17 mars 2016. En écho à son dernier disque qui célébrait la musique du groupe The Doors, le saxophoniste Samy Thiébault est venu au Manu Jazz Club de Nancy. Une occasion aussi de lever le voile sur son nouveau répertoire.


C’était le cinquième rendez-vous de la saison pour le Manu Jazz Club. Après la déception du concert plutôt insipide de la chanteuse Sinne Eeg au mois de février, il était temps de remettre un jazz plus charnu au cœur de l’affaire. Ce dont s’est acquitté le saxophoniste Samy Thiébault qui a su faire voyager le public aussi bien dans le temps que par-delà les continents, vers l’Afrique en particulier.

Samy Thiébault © Jacky Joannès

Nous avions souligné ici même les qualités de A Feast Of Friends, l’album en quartet que Samy Thiébault avait publié en 2015 chez Gaya Music. Le saxophoniste rendait hommage à la musique du groupe The Doors, une formation aujourd’hui mythique emmenée par le chanteur-poète Jim Morrison et dont le batteur John Densmore disait qu’il voulait « apporter au groupe la sensibilité du jazz qu’il avait observée en regardant Elvin Jones jouer avec John Coltrane ». Autant dire qu’un tel programme avait de quoi susciter la curiosité du public venu nombreux une fois encore au rendez-vous de la grande salle du Théâtre de la Manufacture.

The Doors, évoqués sans attendre dès le début du premier set avec « Riders On The Storm » puis, un peu plus tard avec « Blue Sunday ». Le quartet affiche d’emblée une opposition assez nette entre la vivacité d’une cellule rythmique des plus éprouvées : Philippe Soirat à la batterie, Sylvain Romano à la contrebasse et le jeu plus en retrait d’Adrien Chicot au piano. Il est vrai que Soirat et Romano se connaissent sur le bout des doigts, en raison notamment de leur collaboration de longue date avec les frères Belmondo. Une forte présence, tant mélodique que rythmique, qui sera l’un des grands attraits de la soirée. On savait les qualités de Sylvain Romano ; ce concert est venu aussi rappeler à quel point Philippe Soirat est l’un des batteurs les plus attachants de la scène hexagonale, ce que démontre par ailleurs You Know I Care, son premier disque en tant que leader paru à la fin de l’année dernière. Pas facile donc de se faire une place aux côtés d’une telle paire : il faudra attendre le second set pour qu’Adrien Chicot libère son jeu et vienne ferrailler à armes plus égales avec ses camarades qui, pas un seul instant, n’ont relâché la pression.

Samy Thiébault, quant à lui, a le sourire aux lèvres. Il faut dire que les conditions sont réunies pour que tout se passe bien : une belle salle, un public attentif – un peu trop sage parfois – et le plaisir d’annoncer aussi son prochain disque, Wild Songs, dont l’invité sera Avishai Cohen. Le trompettiste, pas le contrebassiste ! Une précision pas forcément inutile quand on sait que certains pensent encore que les deux ne font qu’un… Ce disque qui verra le jour au mois de septembre s’annonce voyageur, avec des incursions proposées au Maroc (« Raqsat Fes », inspiré de « Alach Ya Ghzali » de Maati Benkacem, musicien dont les chansons sont devenues des « classiques » de la musique marocaine) ou en Côte d’Ivoire (« Abidjan »). Cerise sur le gâteau de ce concert pré-printanier, Samy Thiébault n’oublie pas de rendre hommage à deux grands de l’histoire du jazz. Tout d’abord Thelonious Monk avec une version tout en énergie de « Ba-Lue Bolivar Ba-Lues-Are » pour conclure le premier set ; puis John Coltrane et le choix d’une de ses plus belles compositions, « Wise One », dont la profondeur méditative et la sobriété originelles seront respectées. Tout au long du concert, on comprend à quel point la musique de Coltrane a pu marquer le jeu de Samy Thiébault (qui jouera également de la flûte à deux reprises). Personne ne le lui reprochera : quel saxophoniste, ténor en particulier, pourrait ne pas avoir ressenti au plus profond de lui-même la vibration d’une musique qui, aujourd’hui encore, est vivante comme aux premiers jours ? On en retrouve nécessairement chez Thiébault les heureux stigmates : la mélodie pensée comme un chant aux intonations spirituelles et la possibilité d’une élévation par le cri. Mais avec chez lui des ouvertures sur des climats plus joyeux, presque enfantins (« Abidjan »).

Quelques minutes après le concert, Samy Thiébault bavardait avec un spectateur lui demandant qui écouter pour améliorer son jeu au saxophone alto : « Il faut commencer par les grands : Charlie Parker, Sonny Stitt, Cannonball Adderley… suivre l’histoire dans sa chronologie ». Sage conseil dont on a compris qu’il traduisait une démarche personnelle, sans pour autant oublier que le jazz est aussi et surtout musique de brassage. Le répertoire de cette soirée, puisant à bien des sources, en a été la démonstration humble et, pour tout dire, d’une grande fraîcheur.