Scènes

Saveurs Jazz à Segré - 2

6e édition du festival angevin


Marcus Miller © Jean-François Picaut

Pour la deuxième journée de Saveurs Jazz à Segré (Maine-et-Loire), toute l’équipe est sur le pont : on attend Marcus Miller. Le public venu en nombre repartira comblé.

Jeudi 16 juillet 2015

Marcus Miller, Afrodeezia : un concert somptueux

Le répertoire de ce soir sera tiré du dernier album en date du bassiste, Afrodeezia (Blue note, mars 2015). Marcus Miller y retrace le parcours qui, pendant deux ans, l’a conduit à la recherche de ses racines ancestrales et musicales, du Sénégal au Brésil en passant par le Mali, puis à la Nouvelle-Orléans, et enfin dans les grandes villes noires américaines avant de terminer son périple à Trinidad, pays d’origine de sa famille.

Le concert, comme le disque, débute par « Hylife ». Le ton est donné d’emblée : engagement et virtuosité. Miller attaque sur un rythme effréné en se servant de sa basse un peu à la manière d’une guitare. Il chante aussi dans une langue africaine et d’une manière traditionnelle. Déjà, un frisson de plaisir parcourt la salle. L’onde ne fait que s’amplifier avec les solos d’Alex Han (saxophone) et de Brett Williams (claviers), mais le plus époustouflant est celui de Lee Hogans (trompette).

Sur « B’s River », le percussionniste Mino Cinelu, qui chante aussi parfois, démontre toute sa virtuosité souriante au triangle. Il se lance ensuite dans une joute avec le batteur Louis Cato, qui signera un solo vertigineux sur « Papa Was A Rolling Stone ». Pour l’instant, tous rivalisent de vélocité et de variété dans les rythmes, tandis que Miller arbitre le débat via les ponctuations de sa basse. Ce titre permet aussi à Adam Agati (guitare) de briller dans un solo endiablé mais très musical, sans la moindre distorsion. C’est sur un « We Were There » aux allures brésiliennes que Brett Williams aura son heure de gloire au clavier électronique ; la calypso finale, un « Son Of Macbeth » festif, est jalonné de joutes étourdissantes entre le saxophone et la trompette, le percussionniste et le batteur, et marqué par un solo inspiré du guitariste avant que Miller ne mette tout le monde d’accord par sa virtuosité. Le public se lève spontanément pour une longue ovation.

Mais le clou du spectacle reste « Gorée », inspiré par une visite de la Maison des esclaves sur l’île éponyme, à quelques encablures de Dakar. Le morceau illustre à merveille les qualités de compositeur et d’orchestrateur du bassiste. C’est un vrai poème symphonique pour orchestre de jazz. Le premier mouvement, très sombre, exprime à la fois la douleur, la tristesse, la colère aussi. Un ostinato quasi funèbre l’introduit au piano, et quand retentissent les premières notes claires, elles sont violentes et accompagnées de percussions sourdes à la main gauche. La mélodie jouée à la clarinette basse (par Marcus lui-même) est poignante, et cette tristesse paraît encore augmentée par l’écho lointain du saxophone et de la trompette. Mais peu à peu la clarinette se met à dialoguer avec le soprano avant que le chant de celui-ci ne prenne la première place, et c’est sur le second mouvement que, insensiblement, le rythme prend le pas sur la mélodie. C’est le moment où Marcus Miller se met à danser avec des maracas, puis sans, et entre dans une sorte de transe avant de reprendre sa basse. Le final est apaisé, voire un peu planant. Un silence recueilli précède un long tonnerre d’applaudissements.

Je voudrais signaler l’extrême courtoisie de Marcus Miller, qui s’est toujours adressé au public en français et a pris soin d’annoncer, voire de commenter, chacun des titres.

Toute la salle debout réclame un premier et un second rappels ; ce seront « Water Dancer » puis « Blast ». Vingt minutes de folie ! Le public abandonne les chaises pour venir danser. Un triomphe mérité.