Chronique

Selmer #607

Adrien Moignard (g), Rocky Gresset (g), Sébastien Giniaux (g), Richard Manetti (g), Noé Reinhardt (g), Ghali Hadefi (g), Jérémie Arranger (b), David Gastine (g, voc), Benoît Convert (g), Nicolas Blampain (g), Guillaume Singer (vln)

Label / Distribution : Cristal Records

Il est des noms qui font briller les yeux. Prononcez par exemple le nom de Selmer devant un amateur de jazz manouche : la découverte du Saint-Graal n’aurait guère davantage de succès. Ces guitares font en effet figure de référence dans ce style, en particulier car Django Reinhardt les avait adoptées.

Cependant, ces instruments d’exception restent rares, notamment car leur production a été relativement courte (de 1932 à 1952). C’est pourquoi l’un d’entre eux, fabriqué en 1946 et réplique exacte du modèle n°503 qui appartenait à Django, méritait bien un hommage rendu ici à travers un disque au concept très original : la guitare passe entre les mains de cinq jeunes solistes déjà maîtres de leur art, bien que le plus âgé ait seulement trente ans. Outre la découverte, dans une prise de son de très bonne qualité, de l’instrument emblématique du jazz manouche, Selmer #607 présente donc également l’opportunité de découvrir une poignée de futures pointures du domaine. Leur talent est déjà bel et bien là, il ne reste plus qu’à l’écouter et à le partager.

On pourrait craindre d’entendre une fois de plus des reprises des « saucissons » manouches les plus célèbres ou d’assister à des concours de descentes de manche, mais non : on peut ranger ces a priori au placard. Car nos jeunes virtoses osent un répertoire pour le moins varié : sur les seize titres de l’album, seuls deux morceaux sont signés Django Reinhardt. Pour le reste, les compositions originales côtoient sans démériter des standards qui n’ont pas nécessairement l’habitude de frayer avec le jazz manouche. « What A Wonderful World », « Impressions » de Coltrane, « Polkadots and Moonbeams » ou encore « Stella by Starlight » : outre l’originalité de ces choix dans le contexte, ces titres - hormis le Coltrane - sont essentiellement des ballades, brillamment jouées alors qu’il est toujours périlleux et difficile de les interpréter avec la retenue et la sensibilité adéquate.

Mais outre les cinq solistes Adrien Moignard, Rocky Gresset, Sébastien Giniaux, Richard Manetti et Noé Reinhardt - il eût été indigne de ne pas les nommer alors qu’on les retrouvera certainement un jour au firmament du jazz manouche -, outre donc ces cinq solistes et leur impeccable section rythmique, la vraie star de l’album est celle qui lui donne son titre : la Selmer 1946, exemplaire 607, avec sa clarté et son son. L’incroyable présence et profondeur que dégage cet instrument semble indéniablement transcender les musiciens et les aider à donner le
meilleur d’eux-mêmes, pour notre plus grand plaisir.