Chronique

Shawn Levy

Sinatra Confidential

(Showbiz, Casinos & Mafia)

Coup d’œil rétrospectif sur la vie, l’ascension, et même les chutes, de « The Voice », devenu au fil des ans « Old Blue Eyes », et de son groupe d’amis de Las Vegas, « The Rat Pack ». Instructif et édifiant.


Un livre passionnant. Shawn Levy a dépouillé tant de livres, d’articles et d’entretiens sur le sujet, qu’on pressent que sa contribution à la vie « confidentielle » de Frank Sinatra est marquée du sceau d’une honnêteté profonde. Du coup, il nous livre sans doute au plus juste les détails de l’ascension et des moments de chute de celui qui a régné sur Las Vegas dans les années 50/60, avec son groupe de copains appelé « The Rat Pack ». Et le seul reproche que l’on pourrait faire à ce livre serait de vouloir tellement nous faire comprendre les liens (manifestes mais complexes !) entre le show-biz, la politique, l’argent et la mafia qu’au bout du compte on n’y comprend toujours rien ! Comme les agents du fisc et les policiers du FBI nageaient eux-mêmes en plein brouillard, il n’est pas étonnant que vouloir faire la lumière en détail sur tout ça conduise à une impasse !

Pour autant, il est clair que les liens de Frank avec ce beau monde sont avérés, mais au bout du compte plus ténus qu’on pourrait croire. Quand on travaille dans le spectacle aux USA dans ces années là, difficile d’éviter les liens avec ceux qui tiennent les lieux de concerts, les hôtels, les casinos. Et quand on veut y gagner beaucoup d’argent et y vivre à l’aise, il est nécessaire d’en passer par eux. Cela ne vaut pas dire qu’on en fasse partie, c’est à dire qu’on y occupe une place précise et hiérarchique. Même chose pour le lien avec la politique, ou plutôt les politiques. Quand on s’engage, comme Sinatra le fit, aux côtés d’un John F. Kennedy, parce qu’on croit à quelque chose de son discours, même si l’on fréquente la personne et qu’on sait fort bien à quel coquin on a à faire, des liens se nouent sans pour autant qu’on ait à en suspecter la sincérité. À la mort de Kennedy, Frank se retira trois jours dans un lieu isolé pour pleurer son « ami ». Lequel l’avait quand même vexé au plus haut point en annulant au dernier moment une visite « at home » qui avait été préparée de longue date. Car l’amitié avec Frank Sinatra n’était pas toujours bonne à afficher…

Au milieu du livre, c’est à dire quand Shawn Levy évoque le plus haut de la carrière de Sinatra, il nous livre une rare confidence sur les dernières sessions que le chanteur devait à Capitol, alors même qu’il avait déjà fondé son propre label, Reprise. « The Voice » enregistre à toute vitesse, prise unique après prise unique et dans un climat tendu, ce qui donnera la matière de Point Of No Return. On pourrait croire à un résultat médiocre. Au contraire : la voix, légèrement marquée vers le grave à cause de l’âge, est d’une plénitude totale, le chanteur détaille chaque mot, chaque phrase, il plane littéralement sur les arrangements magnifiques d’Alex Stordhal. C’est un enchantement, il faut écouter ça en lisant le livre. Mais le risque est grand que vous laissiez momentanément la lecture pour la musique…

Cette belle époque - argent facile, femmes et filles à disposition, alcool et cigares - est aussi celle des amis Dean Martin et Sammy Davis Jr, membres du « Rat Pack » [1] (avec quelques autres dont le beau-frère de Kennedy !) qui écument les scènes et la télévision. [2] Pour en arriver là, Frank Sinatra a dû surmonter sa chute de popularité du début des années 50, ses débats avec Ava Gardner, et pas mal d’autres difficultés. Mais il a su se glisser parmi les stars du cinéma, peut-être avec l’appui de la mafia. C’est en tous cas ce qui ressort, souvenez-vous, du début du film de Francis Ford Coppola, où l’on voit le Parrain recevoir le chanteur de charme Johnny Fontane pendant le mariage de sa fille, et promettre au chanteur de l’appuyer dans sa demande à Hollywood.

La fin du livre est évidemment crépusculaire. Sammy Davis Jr est le premier à disparaître, Dean Martin est inconsolable de la mort accidentelle de son fils, et il meurt en 1995. Sinatra quitte ce monde en 1998, année même de la parution américaine du livre de Shawn Levy, qui semble avoir été écrit avant la disparition du chanteur. Mais les années Las Vegas étaient déjà loin…

par Philippe Méziat // Publié le 17 janvier 2016
P.-S. :

Un livre, Rivages Rouge, 386 pages, 22 €

[1Sur le « Rat Pack », voir ici

[2On voit Dean Martin et Sammy Davis Jr en coulisses faire des blagues au patron dans cet extrait video