Scènes

Siècle du jazz, Siècle d’image

Exposition « Le siècle du jazz » jusqu’au 28 juin au Quai Branly


L’exposition « Le Siècle du jazz » au Musée du Quai Branly de Paris n’est pas seulement un rendez-vous obligé pour amateurs de jazz désireux de se remémorer les grandes heures d’une musique dont la vigueur actuelle montre bien qu’elle n’est pas seulement une antienne quinquagénaire. C’est aussi un bon moyen d’entrer dans une culture par les arts connexes que cette musique a fait évoluer ou qui ont contribué à l’enrichir.

Le Musée du Quai Branly est un musée ethnographique, et l’exposition engendrée par le philosophe et critique d’art Daniel Soutif est avant tout traitée du point de vue du « fait de civilisation » plutôt que de se placer sur un plan strictement musical, ce qui n’est pas sans intérêt. Cette exposition ne doit donc pas être perçue comme une collection de fait musicaux placés en regard de faits historiques, au contraire : elle questionne le rôle du jazz dans la société, et notamment la stimulation et la fascination que cette musique a exercées sur les peintres, écrivains, graphistes, photographes ou cinéastes, en accompagnant et souvent en anticipant les changements de société.

La scénographie, remarquable, est ainsi développée selon une bande temporelle, illustrée par des articles, extraits de livres, pochettes ou œuvres graphiques qui montrent que peu à peu, tout ceci procède de l’évolution de la perception même du musicien de jazz et de sa musique. Cela se déroule parfois dans un joyeux mélange de rythmes échappés de petites enceintes, le tout créant un fatras évocateur. Ce parti-pris chronologique facilite la découverte de quelques textes visionnaires, de certains écrivains « jazz », mais aussi d’articles dont le racisme primaire fait froid dans le dos. Une incitation à interroger notre époque sur le traitement médiatique qu’elle réserve au jazz… qui va toujours plus vite la société !

A chaque grande période correspondent des salons consacrés à des évolutions artistiques liées à des mutations culturelles, politiques et sociales : avant 1917 Picasso dessine déjà les « Danses barbares » sur un coin de table ; la série s’achève avec le free jazz et ses créations pluridisciplinaires dans une euphorie, une créativité et un esprit de défi qui cherchent encore leur équivalent (cf le magnifique travail photographique de Roberto Masotti ou de Guy Le Querrec). Mais cela passe principalement, époque oblige, par le « jazz age », dans l’exubérance de l’Entre-deux guerres où des graphistes tels que Jan Matulka ou Miguel Covarrubias, à côté de photographes comme Man Ray créent une véritable esthétique jazz, mais aussi où Joséphine Baker illumie Paris et emporte avec elle Le Corbusier, Léger ou Picabia

Le fil rouge de ces périodes reste les pochettes de disques, cette nouvelle « ère » de jeu pour les graphistes, qu’elles soient l’œuvre de Warhol, Pollock ou Marvin Israël, ou bien de photographes comme Claxton et l’inévitable Hermann Léonard. Elles accompagnent le grand tournant de la « Timeline », celle qui vit la mort de Boris Vian et les premières excommunications d’Hugues Panassié, vers un jazz plus politique, revendicatif, conscient de sa position ambivalente entre musique populaire et musique savante, mais aussi de son poids culturel. Un poids sous-tendu par le cinéma qui grandira en même temps que lui et en est, finalement, le faux-jumeau parfois un peu incestueux. C’est pourquoi, à chaque époque, de petits clips ou extraits de films rythment à l’écart le déroulement syncopé du temps pour aller au cœur du sujet : extraits de jam-sessions esthétisées, films noirs ou musicaux, Merry Melodies ou encore courts-métrages vampirisés par la musique…

Siècle du Jazz, siècle de l’image, c’est le nombre impressionnant d’œuvres et la cohérence du propos qui marquent dans cette exposition qui durera jusqu’au 28 juin et qu’il serait dommage de manquer, que l’on soit fan de jazz ou simple curieux.