Tribune

So long, Bob…

Le tromboniste Bob Brookmeyer est décédé le 16 décembre 2011, quelques jours seulement après la publication d’un ultime enregistrement. Il aurait eu 82 ans le 19 décembre.


Moins d’un mois après la disparition du batteur Paul Motian, une autre grande figure du jazz américain tire sa révérence. Le tromboniste Bob Brookmeyer est décédé le 16 décembre, quelques jours seulement après la publication d’un ultime enregistrement qui met en évidence une autre facette de son talent, celle de l’arrangeur qu’il était aussi.

Souvenir de l’été 1997, du côté de Saint-Gilles Croix-de-Vie, et d’une conversation tout aussi impromptue qu’amicale : profitant de quelques jours de repos, Henri Texier évoque avec une grande tendresse, mais aussi beaucoup d’admiration, le disque un peu particulier qu’il vient d’enregistrer. Pour ce Respect, le contrebassiste a réuni ce qui s’apparente à une dream team : une quarte maîtresse composée de Lee Konitz (saxophone alto), Steve Swallow (basse électrique), Paul Motian (batterie) et Bob Brookmeyer (trombone). Un disque tout en équilibre et mariage harmonieux des timbres, occasion privilégiée de vibrer au talent d’artistes hors normes, musiciens d’expériences et de rencontres un peu magiques au long de leurs parcours respectifs. Et quel plaisir que de goûter la douceur mélodique des interventions du tromboniste, comme s’il engageait avec nous une conversation tranquille et chaleureuse !

Photo by Wolfgang Gonaus

Cette belle équipe vient malheureusement de subir deux lourdes pertes en quelques semaines : après le décès de Paul Motian, c’est Bob Brookmeyer qui tire maintenant sa révérence. Triste fin d’année pour le jazz… Le tromboniste est décédé le 16 décembre, quelques jours seulement après la publication d’un ultime enregistrement, Standards, avec le New Art Orchestra et la chanteuse néerlandaise Fay Claassen.

Au-delà due souvenir personnel, cette évocation de Bob Brookmeyer me remet en mémoire sa longue silhouette, mais aussi son trombone pas tout à fait comme les autres : pas de coulisse mais des pistons, et une sonorité d’une profondeur feutrée qui sera sa marque de fabrique.

D’abord pianiste (il ne délaissa jamais vraiment l’instrument, comme en témoigne un disque en duo avec Bill Evans en 1959), sa carrière aura été marquée par de magnifiques rencontres, en particulier dans les années 50 : Mel Lewis, Coleman Hawkins, Ben Webster, Charles Mingus, Jimmy Giuffre, Chet Baker, Jim Hall, Bill Evans, Clark Terry, entre autres, croisent son chemin ; sans oublier quinze ans aux côtés de Stan Getz, avant de rejoindre Gerry Mulligan ! Par la suite, on le retrouve plutôt du côté des studios d’enregistrement et des plateaux de télévision new-yorkais ; il délaisse en efft le monde du jazz, vers lequel il ne reviendra qu’à la fin des années 70. Par ailleurs, depuis une trentaine d’années, Brookmeyer installait souvent ses quartiers en Europe, à Cologne ou Stockholm notamment, en tant que compositeur ou chef d’orchestre, avec le New Art Orchestra, tout en poursuivant une carrière d’enseignant aux Etats-Unis. Son travail de direction lui vaudra plusieurs récompenses, comme le prix de l’Album de l’année en Angleterre en 1997 pour New Works et un Grammy Awards en 2005 pour Get Well Soon.

Brookmeyer n’était donc pas un tromboniste parmi d’autres ; il était identifié en premier lieu par une sonorité et un phrasé assez uniques. Parmi les plus jeunes, le Suisse Samuel Blaser connaissait bien son talent, lui qui se réjouissait encore il y a peu de rencontrer son aîné. Tous deux devaient jouer ensemble fin novembre. Mais la maladie a mis fin à ce beau projet. Blaser, qui entendait Brookmeyer jouer sur les disques de Chet Baker, dont il était fan, qui souligne « sa manière de phraser unique, ce son qui coule, naturellement, ses phrases qui ne s’arrêtent pas où l’on croit qu’elles vont s’arrêter. Un jeu moderne, toujours mélodieux, jamais excentrique, comme du velours. On dirait qu’il parle quand il joue. Il faut écouter sa version d’« Anything Goes », sur l’album Together en duo avec le contrebassiste danois Mads Vinding, en 2000. C’est incroyable ! Je pense que son influence sera celle-là avant tout : celle de son phrasé et de son vocabulaire. Mais pour d’autres, ce sera aussi l’arrangement pour big band ».

Sentiment partagé par un autre tromboniste, hexagonal celui-ci, Sébastien Llado même s’il est plus réservé sur le trombone à pistons : « Je trouve que les notes roulent entre elles, les pistons fonctionnent mieux, à mon oreille, avec les instruments plus aigus » ; il souligne toutefois la singulière élégance du « son » Brookmeyer : « C’est le seul qui me rende le trombone à pistons agréable et beau ! En dehors de son talent d’arrangeur incontestable, de sa capacité à évoluer et faire évoluer le jazz, c’était un mélodiste hors pair ».

Ses qualités d’arrangeur ? On pourra s’en faire une idée très précise, ultime, avec les Standards qu’il nous aura laissés juste avant de partir, comme un ultime cadeau. Le disque, sorti sur le label ArtistShare avec lequel il avait signé en 2005, est une nouvelle exploration de ce Great American Songbook si souvent revisité par les musiciens du monde entier, et atteste s’il en était besoin de la vitalité d’un artiste parti trop vite. Forcément trop vite.