Chronique

Sonny Rollins, le souffle continu

Entretiens avec Franck Médioni

Label / Distribution : Editions MF

Que peut-on encore dire ou écrire sur Sonny Rollins, si ce n’est restituer Sa Parole. Dernier des prophètes du jazz ?
C’est, semble-t-il, le sens que Franck Médioni, émérite journaliste auteur de recueils de témoignages (notamment sur Miles et Coltrane), souhaite donner à cet ouvrage « petit format », un peu similaire à celui qu’a publié récemment Michel Delorme sur « J.C. ».

Deux parties composent la proposition de l’auteur : une interview avec le colosse, en solo… et l’autre en duo avec celui qui était censé être son disciple, David S. Ware. Nulle révélation biographique ici [1], et une introduction remarquable de concision et de sensibilité.
La première partie, issue d’un entretien réalisé à Evian en septembre 1996, est un condensé d’idéologie jazzistique : une réflexivité sur un art sans limite et sans concession, dont l’insatiable souffleur dit qu’il est « une force sociale du bien ».
Franck Médioni, sans doute pudique par rapport à la force de cette parole, a bien fait de ne pas retranscrire ses propres questions, même si l’on eût souhaité en savoir davantage sur la façon dont on peut s’adresser à un tel monument !
La seconde partie, quant à elle, donne à lire les questions, souvent habiles et contextualisées, le journaliste posant des questions fermées uniquement quand il est certain que le débat entre lui et ses témoins est bien engagé, manière de réceptionner des opinions bien senties. Ainsi d’une réponse lapidaire de Rollins concernant « la démocratie selon George W. Bush » après un débat sur le jazz comme « démocratie réelle » (l’entretien a été réalisé en 2005). Ainsi de l’art du journaliste d’éviter les questions sur la « spiritualité », laissant à ses témoins le soin de livrer leurs propres références en la matière. Ici, le colosse apparaît comme un maître de rationalité spirituelle, faisant volontiers le lien entre sa pratique du « souffle continu », issue de spiritualités asiatiques, et son accès à l’universel, cependant que son disciple, David S. Ware, se délecte de références au « Créateur ».
Pour redonner tout leur sens à ces propos, il faut rouvrir le riche essai du saxophoniste chercheur Raphaël Imbert qui, dans « Jazz Suprême » , ouvre de riches chemins vers la compréhension de ce qui pour nous, pôvres pécheurs, apparaîtrait a priori comme une logorrhée mystique, voire sectaire (la référence aux rosicruciens).
Las, n’est-ce pas le propre de tout engagement musical complet que de provoquer des états cathartiques, aussi bien chez ses créateurs que pour ses sectateurs ?

par Laurent Dussutour // Publié le 17 juillet 2016

[1Si ce n’est le refus de l’épouse de Rollins de participer à l’émission Apostrophes, lors de laquelle il aurait été interviewé par… Jacques Delors