Scènes

Souillac en Jazz : repli stratégique

Théo Ceccaldi trio et Thomas de Pourquery Supersonic, le vendredi 20 juillet 2018


Théo Ceccaldi par Marc Pivaudran

Souillac en Jazz est tenu par des gens prévoyants. En raison d’un risque d’orage, le concert du soir se tiendra non pas sur la magnifique place Pierre Betz mais au Palais des Congrès. Le président du festival l’a rappelé, d’autres manifestations n’ont pas fait ce choix et s’en sont mordu les doigts. Quand le concert commence, Souillac a pris des airs de petit Marciac avec ses rangées de chaises bien alignées.

Première partie et première présentation du projet Django par le Théo Ceccaldi Trio. Il s’agit certes d’un hommage au guitariste manouche, mais aussi à Django Bates, pilier de la scène anglaise des musiques libres et improvisées. Cette homonymie est un astucieux tour de passe-passe pour jongler entre deux univers en apparence peu miscibles. D’un coté, rupture mélodique, cassure des dynamiques, riff rock et de l’autre, envolée lyrique, virtuosité et bien sûr thèmes manouches. Tous les ingrédients sont réunis pour un concert où oscilleront les plans sonores et les atmosphères. Les thèmes manouches, base du répertoire, sont exposés de manière très lisibles, parfaitement maîtrisés. Ce sont les plus connus de leur compositeur : « Minor Swing », « Rythme Futur », « Manoir de mes rêves ». Au milieu de ces mélodies bucoliques et réjouissantes, de nombreux passages flirtent avec le rock et convoquent des univers aussi étranges que ceux de King Crimson ou des Residents. L’engagement de chaque musicien est au rendez-vous, comme toujours avec les Ceccaldi et leurs acolytes. A plusieurs reprises, le groupe atteint des climax, mélange de débauche sonore et de furie maîtrisée.

Théo Ceccaldi Trio (Par Marc Pivaudran)

Entre les deux frères Ceccaldi et leur jeu de scène un peu convenu, Guillaume Aknine joue avec nonchalance et incarne très élégamment le style manouche. Ses soli sont merveilleux. Tout est limpide, mélange d’expressivité et de retenue, et toujours très mélodique. De leur côté, les Ceccaldi font du Ceccaldi : jeu frénétique à l’archet et exubérance des gestes pour Théo, pizz’ Bartok énervés et ostinatos de basse pour Valentin. A l’archet, il évoque Tom Cora et développe un son gras, très rock. La projection du son est également saisissante. Le son vient envahir la salle ou se replie sur la scène. Des moments de douceur sont ainsi perceptibles, au milieu d’autres plus sauvages, plus agressifs. Le trio excelle aussi dans le registre des musiques concertantes, un peu à la Brahms ou dans un style début vingtième. Ce mélange des genres et cet exercice de grand écart permanent créent des atmosphères qui étonnamment rappellent les films de David Lynch. C’est en fin de compte une relecture torturée du répertoire de Django Reinhard qui part dans toutes les directions. Le projet est déjà bien rodé. Tout est en place avec une précision d’horloger et un grand savoir-faire.

Théo Ceccaldi (Par Marc Pivaudran)

Après un rafraîchissement de rigueur, début de la deuxième partie de ce concert étiqueté « Victoire de la musique ». Trois ans après son dernier passage, Thomas de Pourquery vient présenter son disque Sons Of Love. Celui-ci occupera la quasi-totalité du répertoire du concert. Dès la coda du second morceau, le concert est bien lancé. Sur un ostinato de piano, commence une improvisation collective débridée. Laurent Bardainne vient en renfort aux percussions tandis qu’Edward Perraud se lève pour la première fois derrière ses fûts. S’ensuit un court interlude très doux, un duo de saxophones dans un style à la Moondog avant que Fabrice Martinez ne se lance à son tour dans un magnifique solo au bugle, très mélodique, tout en mélopée et incantation. Le troisième morceau, « Slow Down », démarre étonnamment sur un martèlement de caisse claire et un rythme quasi-militaire. Thomas de Pourquery s’y illustre au chant et sa voix descend petit à petit dans les graves. Ce colosse dont l’image sur scène transpire la confiance s’approche de sa zone d’inconfort et de fragilité. Il est assez rare de le voir chanter dans un tel registre, cet instant n’en est que plus saisissant.

Thomas de Pourquery (Par Marc Pivaudran)

Autre carrure, autre présence sur scène, Frederick Galiay attire aussi l’attention à la basse. Il supporte l’édifice Supersonic. C’est visuellement frappant, tout repose sur lui. Il vacille, mais porte haut ses camarades. Une telle assise est propice aux élans et au lâcher-prise de ses partenaires. Laurent Bardainne ne s’en prive pas et se lance dans un solo plein de recueillement et de profondeur. Entre-temps, Edward Perraud se déchaîne. Ses gestes sont amples, sa danse statique est belle à voir. Puis, arrive le moment de faire chanter le public. De manière générale, cet exercice imposé est plutôt kitsch. Mais avec Thomas de Pourquery à la baguette, il en est autrement. Plus qu’un simple tour de chant pour les masses, le saxophoniste improvise une véritable petite saynète. Grace à son indéniable charisme, il est de la trempe des entertainers comme Frank Zappa, Philippe Katherine ou Chilly Gonzales - ces musiciens dont le contact avec le public et les interventions subliment leur performance musicale. Le concert touche bientôt à sa fin. Les premières notes de « Give The Money Back » résonnent. Ce morceau est taillé pour des scènes de festival. Avec sa pléthore de synthétiseurs, ses riffs entêtants et sa batterie survitaminée, c’est le plus puissant du répertoire. La joie collective qui s’empare de la scène se propage dans les travées du palais des congrès. Les gens se lèvent avant d’être gratifiés d’un rappel propice au répit, une reprise de Sun Ra qui clôture cette belle soirée.

Thomas de Pourquery Supersonic (Par Marc Pivaudran)