Scènes

Sous le Pavé, le jazz

Le collectif SonoFages, François Rossé et Michel Etxekopar le 10 février 2008 au Théâtre du Pavé (Toulouse).


Deux concerts improvisés qui disent combien la musique peut modeler l’espace et le temps.

10 février 2008 : le Théâtre du Pavé laissait « Carte Blanche » au collectif d’artistes toulousain SonoFages en première partie d’un concert de François Rossé et Michel Etxekopar.

X/DR
De cette unique scène habillée d’une installation à base de cintres revêtus d’aluminium (oeuvre de la plasticienne Zéhavite Cohen, membre du collectif SonoFages), les deux ensembles allaient faire deux espaces radicalement différents : clos, bas et sombre dans la première moitié, vaste et lumineux dans la seconde. Bien plus que deux performances successives, en effet, c’étaient deux vues du monde qui nous étaient projetées. Pas deux « visions » totalisantes : deux instantanés aussi dissemblables que l’air et la terre, contradictoires comme la vie même.

SonoFages, d’abord. Nusch Werchowska jongle au piano entre demi-teintes et révoltes atonales, Elisa Trocme joue de fragments mélodiques généreux et de déchirures palpitantes. Le clair-obscur incarné par Claire Mialhe, la vocaliste, toute de noire couverte et longs cheveux sur les épaules, et Ciâ la danseuse, vêtue de blanc léger et tête rasée, dessine une partition d’enfermement et d’arrachement. La voix va de la plainte au cri et du gémissement aux mots qui disent l’amour-haine, l’étouffement et la douleur. La danse ondule et se tord au ras du sol et des murs, semble vouloir s’en extraire ou s’y fondre, étreint le chant ou l’inarticulé. L’espace scénique pesant, carcéral presque, est habité par quatre âmes éperdues en quête de libération dans un temps contracté.

Un bref entracte et, champ-contrechamp, la scène devient chemin de transhumance. « Mendiko bidea, beti berdina, beti berria » : le chemin de la montagne est toujours le même et toujours nouveau. Sonnailles de brebis, chants d’oiseaux, flûtes, txistu et ttunttun, xirula, alboka… l’espace entre dans le théâtre. L’espace physique, dessiné par deux improvisateurs folâtres et bucoliques ; l’espace temporel, vertigineux : penser qu’il y a trente mille ans, un grand-père d’Isturitz a fabriqué une flûte en os de vautour pour qu’en 2008 Michel Etxekopar en joue sur une scène toulousaine !

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Emerveillement du monde, où l’humain suit un destin ténu, indéchiffrable comme le vol de l’épervier, avec l’art pour unique grandeur : François Rossé et Michel Etxekopar font de la musique sérieuse sans esprit de sérieux. Ils batifolent, plaisantent et se taquinent, inversent les rôles, franchissent les frontières à pieds joints, jouent comme ils respirent. Un fandango lancé par l’un devient prélude de Bach sur le piano de l’autre ; les oiseaux chantent sur le clavier, sifflent sur scène et jusque dans le public, ravi de s’en mêler. De Messiaen aux pastorales souletines, des chants traditionnels basques au jazz, une seule histoire humble et splendide : celle de la musique, où l’improvisation est vitale comme l’air pour les vivants. C’est tout cela que donnent à entendre - et à voir, car cette musique s’écoute aussi avec les yeux - les deux musiciens.

Un rappel a réuni les six improvisateurs sur la même scène. Drôle de jeu collectif entre deux univers si dissemblables. N’ayez crainte : c’est le rire qui l’a emporté.