Chronique

Stefan Orins Trio

The Middle Way

Stefan Orins (p), Christophe Hache (b), Peter Orins (dms)

Label / Distribution : Circum Disc

S’il y a un point commun aux cinq albums du Stefan Orins Trio produits depuis plus de 13 ans qu’il existe, c’est bien la lumière et l’espace. On ne parle pas uniquement de la pochette, illustrée par des photos où la nature, aux lumières changeantes et aux alternances d’aube et de crépuscule, est reine. Il s’agit également de la complicité des deux frères Orins, aux extrémités d’un large terrain que le contrebassiste Christophe Hache investit pleinement, mélodiste en liberté dans un champ de quiétude. Dans The Middle Way, leur nouvelle œuvre commune, « Pétales au vent » en est le meilleur exemple, tant ce morceau contemplatif où le piano de Stefan Orins semble soutenir les frappes erratiques de Peter Orins permet au contrebassiste de déambuler comme il le désire. Il dialogue doucement avec le piano avec des pizzicati à peine prononcés ou s’abandonne dans les sifflements de cymbales frottées.

C’est comme si l’espace avait changé de plan tout en gardant la flèche de la boussole orientée au Nord. D’une relation fort horizontale, on est passé à quelque chose de foncièrement vertical qui sonde les abysses, que ce soient les peaux des tambours, plus vivaces que jamais dans le jeu du batteur, habituellement porté sur les explorations métalliques, mais aussi le piano du leader qui abandonne les cascades harmoniques pour plus de concision. Stefan Orins ne devient pas subitement économe, puisqu’il suffit de s’imprégner de « Chu » pour comprendre que la nervosité est toujours là. Mais il y a une forme d’apaisement, d’abandon de ce jeu sans cesse sur le fil et très en avant. Le splendide « Winter Always Turns Into Spring », où le chaleureux dialogue à trois, tout à la fois simple et raffiné, indique une nouvelle direction, sensible dans la plupart des titres. En jouant moins de notes tout en gardant sa vélocité, le pianiste gagne en efficacité et en pugnacité. Dans le même temps, ses compagnons obtiennent davantage de surface, et c’est un triangle isocèle qui se présente. Une dimension qui apparaît dans « Ku », où les trois solistes s’imbriquent davantage qu’ils se succèdent dans un mouvement circulaire que Peter Orins illumine de son talent dans une échappée belle qui vaut à elle seule l’écoute attentive de ce disque.

Est-ce cela The Middle Way, une voie centrale qui redistribue collectivement les cartes ? On penchera pour une autre explication qui n’invaliderait pas la première mais la prolongerait. Dans le bouddhisme, la voie du milieu est le chemin de la sagesse, que Stefan Orins cherche indubitablement. C’est ainsi qu’il prône un ascétisme raisonné pour lui-même, et un partage plus grand. Notamment dans les trois premières pièces « Chu », « Ku » et « Ke » que l’on peut envisager comme une suite ou pour le moins l’affirmation d’un sentier à suivre, voire d’un nouveau paradigme adopté par le trio. La tentation mystique n’est qu’affaire d’équilibre. Plus loin, lorsque l’orchestre rend hommage avec une grande tendresse à la militante écologiste kenyanne « Wangari Maathai », on comprend que tout ceci n’est qu’un souffle profond qui permet de rester en harmonie avec les éléments et la nature. The Middle Way est un enregistrement d’une grande douceur qui salue une vieille amitié lilloise avec bonheur et une forme de délicate ivresse tout à fait bienvenue.