Sur la platine

Strange Fruit/Billie Holiday

33 + 45 = 78


33 + 45 = 78

Original en 78 tours. Que révèle (de nouveau) son écoute attentive ?

Ce n’est pas sans émotion qu’on reçoit des USA une copie en très bon état de l’original en 78 tours du « Strange Fruit » de Billie Holiday, enregistré le 20 avril 1939.

Proposée à Columbia, qui refusa de la graver, la chanson a été éditée par le label Commodore, à un million d’exemplaires. Le pianiste Sonny White est crédité sur l’étiquette de son solo introductif, le disque passe sans le moindre heurt sur une TD 124 équipée d’une cellule Shure et d’un diamant spécial pour les 78 tours. Chaîne d’écoute banale, de bonne qualité mais banale.
Au passage, je conseille d’écouter les 78 tours de l’époque électrique, c’est à dire à partir de 1927, sur ce type de matériel, car les phonos à pavillon et à aiguilles ne rendent pas grand chose des disques, sans compter qu’ils en détruisent la gravure au fil des écoutes.

Ce qui frappe à l’audition attentive (et amoureuse) du disque, c’est le mixage : la voix de Billie n’est pas mise en avant, comme de nombreuses rééditions le font entendre, et nous font croire que la « diva » souhaitait être placée en évidence. À peine si, sur la fin (où Billie est d’une justesse et d’une force émotionnelle d’autant plus rare qu’elle ne joue que sur une imperceptible augmentation du ton), on entend un peu plus fort sa voix, à l’époque encore timbrée sans trop de vibrato, et sans cette raucité qu’elle saura transfigurer dans les années 50.
Il se dégage de l’écoute le sentiment d’une sorte de discrétion que Billie Holiday a pu souhaiter : le texte est suffisamment explicite, et fort, nul besoin d’en rajouter. Sur l’autre face, sa version de « Fine And Mellow ».