Chronique

Switters

The Anabaptist Loop

Gianni Gebbia (saxes, fl), Vincenzo Vasi (elb, voc, theremin), Francesco Cusa (d, perc)

Le trio italien Switters a garni son premier opus de dix-sept pièces aux styles divers mais obéissant à une ligne directrice commune : une section rythmique très dynamique où se pose le jeu vaporeux et inspiré du saxophoniste-flûtiste Gianni Gebbia, le tout sur des morceaux courts.

The Anabaptist Loop est un jazz ouvert où toutes les inspirations sont les bienvenues. Sur ces compositions fugaces (sept pièces durent moins de deux minutes) et interprétées avec fougue, on est ballotté entre swing déroutant, rock, musique ethnique, plus un saupoudrage de rythmes drum’n’bass et trip hop, avec des sonorités tribales, des boucles et quelques élans free habilement déjantés.

Sans concession dans sa musique, le groupe étonne par son enthousiasme, à la limite de l’exubérance, et son jeu brut et vigoureux (« Switters », justement).
Pourtant, ce n’est pas à proprement parler un « power trio ». L’énergie que l’on retrouve dans ce type de formation y serait trop académique pour lui.

En fait, si la section rythmique est puissante, elle est avant tout un catalyseur alors que Gianni Gebbia, lui, est l’élément « canalisateur » ; ce qui se ressent particulièrement en fin de pièces. Parfoi, il éteint le brasier de la rythmique qui fuse, un peu comme l’Ornette Coleman d’aujourdhui éteignant le feu qu’il a lui-même allumé (« Q »).

Gebbia incorpore au trio une musique un peu à contre-courant de l’indéfectible soutien rythmique de Vasi et Cusa, une musique probablement inspirée de voyages et où il semble puiser une certaine spiritualité, pour ne par dire un certain mysticisme (« The Anabaptist Loop », « New Middle Age Walking »).

Gebbia est l’électron libre du groupe ; à aucun moment il ne se laisse aller à la férocité de ses comparses. Pas de stridence, pas de cris mais des chorus qui racontent des histoires parallèles. Ou plutôt, Gebbia il la tangente : le point de départ est commun, sur quoi il s’en écarte via un discours différent - et inversement. Par ailleurs, il effectue un beau travail continu sur ses deux saxes, avec des sonorités qui complètent celles, percussives, de la rythmique.

The Anabaptist Loop est aussi un disque contrasté et zélé :

Contrasté grâce au son de Vincenzo Vasi, qui fait irrésistiblement penser à celui de Luc Ex, la fureur en moins et une certaine délicatesse en plus. Mais en effet, sa basse électrique rend un son sec et brut comme une basse acoustique. Il tisse une toile sonore d’expérimentations maîtrisées et tout à fait inhabituelles tandis que le percussionniste, lui, nous engouffre dans ses rythmiques rapides aux figures tribales, rock ou électro mais sans… électronique.

Zélé à cause du déferlement rythmique de Cusa, souverain dans la densité et par les éructations de Vasi, dont la texture rappellecelle d’Arthur H et les vocalises et onomatopées de Phil Minton (« Confession I », « Ballata Delle Multinazionali »).

Comme pour apporter un contrepoint à sa sécheresse grave, Vasi joue aussi du thérémin, un instrument peu connu, difficile à maîtriser et limité (puisque monophonique), qui n’apporte guère de musicalité mais suscite des atmosphères étranges, voire angoissantes. Sur « Langley » et « Serov », on pense aux vieilles séries TV de science-fiction…

Voici donc une œuvre surprenante, à la mécanique bien huilée, qui enchantera les mélomanes désireux de découvrir des univers rarement explorés.