Entretien

Sylvain Beuf

Autour d’Octovoice

Dans ce nouveau projet, Sylvain Beuf s’est entouré de 5 chanteurs, d’un organiste et d’un batteur. D’où le nom : Octovoice. Le saxophoniste a su éviter les facilités que l’on rencontre dans ce genre de formation, pour donner une musique sensuelle, poétique et ponctuée d’humour. Rencontre avec l’interessé.

Comment vous est venu l’idée de la formation ?

S.B. : C’est né il y a 5 ans à une époque où je jouais avec Emmanuel Bex, et j’avais une envie de participer à un projet qui intégrerait des voix.
Au départ j’étais parti sur quelque chose de beaucoup plus petit, et au regard de ce qui se passe dans le monde vocal, j’ai pris conscience que les groupes vocaux de 4/5 chanteurs offrent des possibilités musicales très intéressantes. On a un outil et une masse sonore qui peuvent contrebalancer l’énergie, la force de l’orgue. C’est un peu pour cette raison que j’ai choisi de constituer un groupe qui intégrerait au moins 5 chanteurs.
Le choix des musiciens est venu après par les rencontres. De tous les chanteurs, il y a d’abord eu Laurence Saltiel que j’ai connu il y a très longtemps : elle était mon professeur au CIM [à l’époque dirigée par Alain Guerini]. Ensuite Thierry Péala que j’ai découvert comme auditeur à travers ses propres formations. Et de fil en aiguille est apparu une espèce de groupe. Ce projet est né comme ça de manière un peu empirique.
J’ai ensuite eu une opportunité très intéressante. Je n’avais pas encore le cadre pour organiser complètement le projet et j’ai eu une proposition tout à fait passionnante de réaliser une résidence artistique dans le département de l’Essonne.
Elle m’a permis d’écrire une partition musicale un peu plus importante, beaucoup plus réfléchie et arrangée, et de pouvoir proposer ce spectacle avec un travail de scénographie, de travailler au centre culturel d’Athis-Mons nous offre une possibilité de créer ce spectacle et d’aller plus loin que la version concert que vous avez eue aujourd’hui [à la Fête des Jazz en mai].

Qu’est ce qu’il y a en plus ?

S.B. : C’est la version spectacle qui dure une heure et demi et qui est mise en scène.
Il y a donc un scénographe, une conceptrice de lumière et un photographe. C’est un spectacle qui a tourné très peu de fois pour l’instant : on a eu trois vraies possibilités de le jouer en état.
C’est un travail sur l’espace, c’est-à-dire que dans une très grande salle de spectacle on a la possibilité de jouer sur la lumière et de donner en plus une chronologie, une histoire à la musique qu’on a peut-être moins identifiée lors de ce concert.

Qu : C’est similaire à une pièce de théâtre ? Les chanteurs sont aussi acteurs ?

S.B. : Non, il n’y a pas de textes à jouer, j’ai souhaité que l’on reste vraiment une formation musicale. Par contre, il y a des déplacements qui permettent de donner une dimension scénique qu’il n’y a pas en version concert.
Mais ce n’était pas non plus la finalité d’Octovoice. C’était de faire avec huit musiciens un gros travail de répétition sur huit mois, et grâce à la création de faire naître le projet.

Est-ce qu’il n’y avait pas aussi une volonté de sortir d’une certaine routine des quintettes et des trios ?

S.B. : Non, parce que je suis convaincu que les différents types de formation ont une spécificité qu’il faut travailler, approfondir et enrichir.
Ce que je fais en trio ou en quintette est passionnant et il me faudra encore de longues périodes de jeu pour en venir à bout ! Ce n’est pas du tout en réaction à une lassitude, mais c’est la possibilité d’avoir un projet plus étoffé en nombre de musiciens et d’arriver à gérer l’écriture pour que ça soit dans la continuité de mon travail de compositeur.

Comment avez vous utilisé les particularités de chaque chanteur ? De quelle manière ?

S.B. : En fonction de l’intonation, de la personnalité de ces chanteurs. Quelqu’un comme Laura Littardi qui est italienne, qui extériorise toute sa latinité, je n’allais pas lui faire un chant grégorien !
On a combiné aussi les envies en tant que soliste. C’est vraiment le critère de l’improvisation qui a déterminé comment j’allais leur proposer l’écriture qui leur correspondrait le mieux.
Ils ont quand même joué le jeu, puisqu’il y a des climats musicaux qui sont très distincts. Par conséquent ils ont tous fait un effort pour s’y adapter. Mais notamment sur le rythme on a encore un gros travail à faire.

Puisqu’on parle de voix, si vous deviez vous en rapprocher d’une au saxophone, ce serait laquelle ?

S.B. : Ce serait une voix qui offre beaucoup de richesse de sons en fait. Ce que je trouve de passionnant avec la voix, c’est la possibilité de moduler les intonations, la couleur, le grain, la fragilité…
Je trouve que la voix et le saxophone sont des instruments très proches. Le musicien est toujours en connexion avec sa voix intérieure. Nous instrumentistes, nous cachons derrière l’instrument !
C’est très visible chez quelqu’un comme Emmanuel [Bex]. Quand on le voit jouer, on sent vraiment le chant qui est à l’intérieur de lui et sur lequel il a un très gros contrôle puisqu’il ne fait jamais les choses par hasard.

Y a t’il des chanteurs ou des chanteuses qui vous ont inspiré pour votre jeu ?

S.B. : Peut-être pas de manière directe. J’aime beaucoup des timbres de voix qui sont plus graves, par exemple Sarah Vaughan ou Billy Holliday. Une personne comme Shirley Horn m’a permis de garder le contact avec le monde vocal. J’ai eu le frisson en écoutant ses disques récents avec son trio ; c’est quelqu’un qui a une force dans la vie.
Ce que je souhaite avec Octovoice, c’est qu’on ne se laisse pas submerger par la technique à la fois de l’écriture et de nos compétences, mais c’est que ce groupe soit un outil pour communiquer une émotion pure.

Est-ce qu’un groupe comme les Double Six vous a inspiré ?

S.B. : Pas énormément. Je trouve cette tradition légèrement naïve notamment au niveau des paroles.
Mais j’ai beaucoup d’estime pour eux et c’est quasiment le seul groupe vocal que j’ai écouté, avec après Manhattan Transfer ou New York Voices.
Ce qui m’intéresse c’est cette écriture très rythmique et mélodique qu’il y a dans les Double Six.
J’ai une inspiration vraiment classique sur le chant : les voix pures, sans traitement.

Qui a écrit les textes ?

S.B. : J’ai travaillé avec une parolière qui s’appelle Gil Gladstone qui a écrit pour Norma Winstone, cette chanteuse anglaise qui joue avec Kenny Wheeler.
J’ai eu le contact de cette parolière par l’intermédiaire de Thierry [Péala]. On est toujours dans une idée d’ouverture linguistique.
J’aime beaucoup l’anglais, Thierry est très à l’aise avec cette langue, mais je suis un peu ennuyé par son monopole. Donc j’ai insisté pour qu’on ait plusieurs possibilités entre l’italien, l’anglais et le français, même si ce dernier n’offre pas la même facilité pour être chanté.

Ils ont été écrits avant la musique ?

S.B. : Non après. On a fait le travail qui consiste à faire coller les mots sur la musique. J’avais des choses assez précises au départ et ce sont les chanteurs qui m’ont poussé vers l’appropriation de la parole sur la musique.

Un disque est prévu ?

S.B. : Tout à fait. Pour l’instant je ne peux pas m’étendre dessus, on est en période de recherche active des meilleures conditions d’enregistrement.
C’est quelque chose qui va devenir très vite indispensable pour nous, pour dépasser le cadre des concerts. Le disque sera la seule manière de nous réunir à nouveau entre les différents concerts et on en aura vraiment besoin.

Est-ce difficile de faire tourner un tel groupe ?

S.B. : Oui, car on est dans une logique de petit big band. Pour le circuit actuel, notre reconnaissance au niveau de la diffusion va passer par le disque. L’un n’ira pas sans l’autre. On est maintenant dans cette dynamique là pour que le groupe s’épanouisse. Il le mérite je pense, c’est vraiment un beau projet.

Une chose à rajouter ?

S.B. : Un élément qui a été déterminant, c’est qu’on a changé de personnes par rapport au projet d’origine. Anne Ducros en est sortie car elle veut vraiment développer sa carrière de soliste. Carole Hémard la remplace, et c’est une très grande chanteuse. Elle a une grande tessiture vocale et est très marrante.
D’autre part, André Ceccarelli est lui aussi parti, et c’est Louis Moutin qui a pris sa place.