Scènes

Sylvain Cathala Trio 10 ans au Pannonica

Vendredi 11 décembre, dernier concert de la saison 2015 pour le trio de Sylvain Cathala.


Photo : Christophe Charpenel

Les dix ans du trio de Sylvain Cathala, ça se fête. D’autant plus lorsque le concert est le dernier de l’année avant la pause de Noël et que la chanteuse et joueuse de oud Kamilya Jubran y est invitée. Le public du Pannonica a su répondre présent à ce rendez-vous.

Trio Exil ouvre la soirée. Le piano leader de Josselin Arhiman s’entoure d’Alexis Coutureau (contrebasse) et Pierre Chastel (batterie). Jeune formation poitevine qui présente un travail soigné, recueilli et finit par s’ouvrir pour exposer son savoir-faire avec une grande application. On égrène toutes les familles stylistiques du jazz des dernières décennies. C’est réfléchi. Un peu trop sans doute. On aurait foutrement envie de donner un coup de pieds dans la fourmilière, pas pour casser mais bousculer un peu, donner à entendre de l’imprévu. N’ayez pas peur, il y a toujours moyen de retomber sur ses pattes. Rideau.

Second plateau. Dans le contexte actuel, dix ans d’existence valent une éternité et cette longévité montre l’obstination à creuser une ligne esthétique forte. Placé sous le signe de l’amitié, le trio du saxophoniste Sylvain Cathala réunit à ses côtés la batterie de Christophe Lavergne, familier du club, et la contrebasse de Sarah Murcia. Les trois ont construit ensemble une musique contemporaine (entendre par là : résultant d’une histoire mais enrichie d’influences actuelles), à la fois nerveuse et élégante. Autosuffisante par plaisir ou nécessité comme capable d’accueillir quiconque viendrait renouveler le champ des possibles et élargir les horizons à atteindre.

Dans le cadre de Jazz en Phase, la chanteuse et joueuse de oud Kamilya Jubran rejoint la formation. D’autres avant elle ont intégré le oud à l’idiome jazz (Rabih Abou Khalil, Anouar Brahem entre autres) mais ce n’est pas de cela qu’il s’agit ce soir. Palestinienne, engagée, elle veut dire le monde tel qu’il est et tel qu’il va ; messagère des poètes, elle en déclame les textes en porte-parole. Son verbe est clair et la langue claque avec brillance même pour ceux qui ne la comprennent pas. Son oud est un bâton de marche sur lequel elle s’appuie pour avancer. Cheveux jetés en arrière, visage ouvert et concentré, elle est l’objet de toutes les attentions dans les premiers temps du concert. Le trio lui-même lui laisse toute la place et l’entoure avec bienveillance. Il accompagne discrètement pour lui donner le temps de trouver son souffle et laisser monter un chant âpre mais ferme.

Sylvain Cathala Trio, photo Frank Bigotte

Sarah Murcia la connaît depuis plus de quinze ans, elles ont joué ensemble dans la formation Sabreen et enregistré Nhaoul’ en duo en 2013 (avec des cordes et parfois sur scène avec Guillaume Roy et Régis Huby). Elle est attentive, disponible et soutien indéfectible. Elle fait le lien avec les deux autres, porte la pulsation. Certains bassistes se retranchent derrière leur instrument, d’autres plongent au fond du manche ; Sarah Murcia fait de sa contrebasse une compagne de jeu, à égalité. Elle l’empoigne fermement et lui extirpe avec puissance des lignes agiles et ronflantes. Elle organise, distribue et joue en fond de court avec Christophe Lavergne qui saisit les balles, les renvoie et en propose d’autres. Le jeu prend de l’envergure.

Le projecteur se déplace et le trio prend forme. Les compositions sont à présent signées de Sylvain Cathala, extraites du disque Flow & Cycle. Maîtrisées sur le bout des doigts, faisant montre de leur autorité, elles expriment toute leur potentialité. Et qu’importe que tout ne soit pas dit : tout pourrait l’être. Sans effort apparent, le triangle fonctionne à plein régime, génère sa propre énergie. Sylvain Cathala ose des approches qui oscillent entre une sonorité détimbrée, extérieure puis, en contrecoup, chaleureuse. Il donne de l’ampleur à son saxophone, joue de l’espace. C’est en réalité un travail sur la vitesse. Des phrases ondulatoires, sans résolution ou alors elliptiques, qui s’échouent sur des silences puis une reprise sans empressement. Il développe d’autres phrases en réflexion, en réfraction. Avec profusion mais dans la même direction - particulièrement lors d’une intervention en solitaire qui met le temps en suspens.

Sylvain Cathala, photo Frank Bigotte