Chronique

The Bad Plus

The Bad Plus Joshua Redman

Joshua Redman (ts), Ethan Iverson (p), Reid Anderson (b), David King (dms)

Label / Distribution : Nonesuch / WEA

Joshua Redman l’affirme : le talent d’un musicien, c’est de pouvoir se connecter aux autres. Avec le pianiste, le batteur ou le contrebassiste qui joue à ses côtés ; avec le public, tout simplement. Il suffit d’ouvrir grand les oreilles et de fermer les yeux en écoutant The Bad Plus Joshua Redman pour s’en persuader aisément. Cet album au titre clin d’œil résume toute la philosophie de The Bad Plus : pas de solistes, pas de leaders, mais un jeu collectif et une juste place laissée à Reid Anderson, Dave King et Ethan Iverson. Une philosophie que Joshua Redman et son saxophone ont su parfaitement épouser en rejoignant les trois compères de Minneapolis le temps de quelques dates… et d’un disque.

C’est sur la scène du Blue Note qu’ils se sont rencontrés, en 2011. Un pied magnifique, un vrai, qui conduit The Bad Plus et Joshua Redman à partager quelques dates, histoire de faire durer le plaisir et de travailler à un album commun. Après quatre ans, cet album en est l’aboutissement, concrétisé par le label Nonesuch. Celui-ci consacre non le trio plus un collègue en CDD, mais bien un véritable quartette dont le son respire absolument l’esprit du trio. Au point que le saxophoniste confie à l’envie que certains morceaux de cet album ne pourraient être joués qu’avec eux.

The Bad Plus a marqué son territoire depuis sa création, en 2000. Un power trio à l’esprit résolument rock et des reprises formidablement hérétiques : relectures empathiques de « Smells Like Teen Spirit » de Nirvana, de Blondie ou encore de Black Sabbath… D’autres moins convaincantes, comme cette tentative du Sacre du Printemps, qui se heurte au génie d’Igor Stravinsky. Et, surtout, des compositions à la rythmique binaire parfois très pop, accessibles, toujours intelligentes, comme cet infernal ostinato de « Seven Minutes Mind », ou ce thème envoûtant de « Prehensile Dream », évoquant « Knives Out » et Radiohead. Des compositions qui vous font taper du pied sans que vous vous en rendiez compte. Du jazz : un irrésistible mouvement, une transformation permanente.

Ce disque est le récit de cette philosophie. Sept morceaux inédits, deux nouveaux arrangements – « Dirty Blonde » et « Silence Is The Question » –, quatre créations de Reid Anderson, le contrebassiste, deux d’Ethan Iverson, le pianiste, et Joshua Redman et une de David King, le batteur. Une conversation entre un piano et un saxophone dans « As This Moment Slips Away », qui glisse vers un crescendo rapide et hypnotique. Ou le thème funky de « County Seat » aux accords plaqués, à la rythmique insaisissable, qui devient une discussion de commères entre le saxophone et la batterie. Jusqu’aux mélodies très pop de « Friend Or Foe », ces arpèges entêtants, qui semblent fuir les variations plaintives et décalées du pavillon de Redman. Tout est question d’échanges et de composition équilibrée où chaque individualité narre son histoire et celle de The Bad Plus.

En somme, et c’est tout simple, il s’agit d’une connexion entre les musiciens. Ceux qui partagent la scène ou le studio, et d’autres plus illustres. Des influences qui vont de Keith Jarrett, qu’on entend aux confins de l’album, à Leonard Bernstein et sa West Side Story dans le thème délicat de « The Mending ». Ethan Iverson le résumait bien dans les colonnes du Monde : « Les gens viennent voir The Bad Plus être The Bad Plus ». Parce que ça leur parle.