Scènes

The Bridge #7 au Pannonica

« The Bridge » est à nouveau en tournée en France. Septième rencontre en tout, quatrième sur le sol français.


« The Bridge » est à nouveau en tournée en France. Septième rencontre en tout, quatrième sur le sol français.

En l’occurrence, pour cette formation précise, le pont transatlantique construit par Alexandre Pierrepont permet à trois musiciens de l’Hexagone - Magic Malik (flûte & vocalises en tous genres), Guillaume Orti (saxophoniste) et Frédéric Bargeon-Briet (contrebassiste) - de mêler leur talent à celui de trois autres éminents personnages, américains ceux-là, et plus habitués aux scènes de Chicago.

Khari B. (spoken word, ou textes & vocalises), est l’actuel « chef » de l’A.A.C.M (Association for the Advancement of Creative Musicians), créée en 1965 à Chicago à l’initiative du pianiste Muhal Richard Abrams, dont l’ambition est de produire de la Great Black Music. Jef Bishop (trombone), originaire de Raleigh (Caroline du Nord), a débuté comme bassiste et guitariste électrique dans des groupes plus rock, et migré vers Chicago dans les années 90, au moment où il effectuait une transition vers le monde du jazz et des musiques improvisées. Ce qui l’a amené à intégrer différentes formations émergentes de Ken Vandermark, dont le Vandermark 5, comme tromboniste et parfois comme guitariste, puis le tentet de Peter Brötzmann avec tous les Chicago Free Men - Fred Lonberg-Holm, Hamid Drake, Michael Zerang - qui sont intervenus lors de précédentes éditions de ce « The Bridge ». Quant à Tyshawn Sorey, batteur & tromboniste originaire de Newark, dans le New Jersey, il présente déjà, à 34 ans, un parcours impressionnant (il a joué avec les meilleurs musiciens du free et de l’avant-garde).

Le ton est donné d’emblée. La présence, sur le côté de la scène, d’un piano dont jouent tantôt Malik, tantôt Sorey, rappelle les premières pierres posées à l’époque par Muhal Richard Abrams, Anthony Braxton, Wadada Leo Smith et, bien évidemment, l’Art Ensemble de Chicago. Au fur et à mesure des improvisations collectives, les protagonistes se relaient, allant d’intervention en solo au débat à plusieurs, scindant parfois le groupe au complet dans des joutes croisées de haut vol. Sorey sait assurer avec une habileté particulière la magnification des harmonies naissantes au trombone basse puis enfoncer le clou rythmique au poste de batteur. C’est tout juste s’il ne fait pas les deux en même temps…

On note tout spécialement la souplesse constante de l’ensemble qui, loin des énergies extrêmes à la Brötzmann, permet des moments sobres de « Poésie performance » (Khari B) et d’étonnantes vocalises de Magic Malik ; aidé de quelques objets et d’une technique de respiration (y compris nasale) hors du commun, celui-ci fait une incursion dans les musiques dites « tribales » qui aurait ému les mélomanes archivistes tels que Jean Rouch.

Évidemment, à part pour les anglophones confirmés, le risque est que le spectateur passe à côté des subtilités de l’expérience poétique proposée par Khari B., dont la volonté (ou la mission), est d’utiliser le pouvoir des mots afin de nous élever, nous éduquer, nous inspirer - en bref de nous inviter à inventer un monde meilleur. Toutefois, de par sa nature énergique, l’artiste offre une performance si puissante, et soutenue par un accompagnement si intense, que la barrière de la langue n’altère pas, dans le cœur du public, son propos vibrant.

Beaucoup de qualités et d’émotion dans ce « Bridge », version contemporaine de ce que furent à l’époque l’Avant-garde, la New Thing ou tout simplement la Free Music.