Chronique

The Claudia Quintet

I, Claudia

John Hollenbeck (d), Drew Gress (b), Matt Moran (vib, perc), Chris Speed (cl, ts), Ted Reichman (acc)

Label / Distribution : Cuneiform Records/Orkhêstra

Le batteur-compositeur John Hollenbeck est le leader du Claudia Quintet, formation regroupant des habitués de la scène Downtown new-yorkaise. Hollenbeck joue aussi (entre autres) dans des contextes plus orientés swing, comme le Monday Night Orchestra du Village Vanguard.

Sur I, Claudia, la part d’emprunts à la musique contemporaine, qui rendaient le premier album du Quintet trop austère, a été diminuée au profit de recherches sur les combinaisons rythmiques et timbrales. Il en résulte un très bon mélange cool-contemporain-postrock-électro. La musique de Hollenbeck préfère la composition et les textures d’ensemble aux solos pour créer des atmosphères tour à tour oniriques, frustes, belles, dynamiques, retenues ou froides. Si le batteur aime à développer des éléments mélodiques relativement simples, ces accroches sont souvent un peu enfouies dans des arrangements fouillés ou des déséquilibres rythmiques.

Dès le premier morceau, batterie binaire insistante et riffs obstinément arythmiques de clarinette et de vibraphone se frottent pour donner un effet de trébuchement perpétuel. En revanche, sur « Misty Hymen », le groove drum’n’bass est amplifié, et non contrecarré, par les lignes tranchantes des instruments mélodiques. La superposition de boucles (bien qu’il n’y ait pas de sampler, l’écriture de Hollenbeck en donne parfois l’impression) mélodico-rythmiques est fréquente : dans « « arabic » » (sic), par exemple, les percussions tempérées créent un effet étourdissant, proche du gamelan.

Les rythmes du batteur peuvent rappeller les musiques électroniques, mais loin d’un boum-boum abrutissant, cette influence est traitée de manière assez originale : le thème principal d’« Opening » fait penser à la musique d’un antique jeu vidéo.

Pendant les quatre premiers morceaux de l’album, Chris Speed - la voix proéminente du groupe, même si chaque membre apporte une contribution notable - joue de la clarinette. Le leader profite particulièrement du son du sideman sur la magnifique ouverture en chorale clarinette/accordéon/vibraphone de « The Cloud of Unknowing ». Speed montre peut-être plus clairement que les autres ce que cette musique doit au cool jazz : timbre d’une blanche pureté donnant un jeu cristallin, avec tout ce que cela implique de froideur, d’éclat et de beauté. Quand il prend son saxophone ténor, la musique s’épaissit et devient un peu plus rugueuse, mais c’est à la clarinette, notamment lorsqu’il monte dans les aigus, que son apport timbral est le plus remarquable.

Une des qualités les plus étonnantes de ce quintet est sa capacité à unir musiques difficiles et musiques plus faciles. Ainsi, « « …Can You Get Through This Life with A Good Heart ? » » (sic) commence avec des accords séparés par de longs silences, ce qui n’est pas sans rappeller Morton Feldman ou Anthony Braxton (Ted Reichman a été l’élève et le compagnon musical de ce dernier). Le silence cède la place à d’inidentifiables bruissements électroniques, puis un simple back-beat nous fait tout à coup basculer vers une ambiance quasi-pseudo-lounge. Sur « Couch », une lamentation de ténor et les sons clairs que Matt Moran produit en jouant de son vibraphone à l’archet créent une atmosphère nocturne et menaçante qui, en une mesure, devient soudain un lever de soleil plein d’espoir.