Chronique

The Drops

Spray

Federico Casagrande (g), Christophe Panzani (sax), Ferenc Nemeth (dms).

Label / Distribution : The Drops Music

Trois ans après Falling From The Sky, la paire Federico Casagrande (guitare) et Christophe Panzani (saxophone) récidive avec Spray, sur le label The Drops Music. The Drops est de retour et le pouvoir de séduction de ce premier disque au charme discret semble intact. Le percussionniste Ferenc Nemeth (collaborateur, entre autres, de Lionel Loueke et Joshua Redman) prend la place de Ted Poor pour donner une musique sereine, comme une nouvelle invitation au voyage, une proposition dont le chant des instruments souligne avec justesse la sensibilité presque pudique des musiciens.

Si les références picturales du groupe furent d’abord dadaïstes (une allusion à la peinture de Magritte sur la pochette de Falling…), c’est aujourd’hui du côté du street art que se tourne le regard des musiciens avec un visuel emprunté à Banksy, artiste connu pour son travail au pochoir en milieu urbain. Faut-il y voir une inflexion, un ancrage plus fort dans une réalité à laquelle le premier disque échappait par sa dimension résolument onirique ? Possible, car depuis, les Drops ont parcouru le monde, rencontré de nouveaux publics et découvert d’autres horizons. Mais ce n’est pas si sûr : l’identité du groupe est toujours là, avec ce besoin évident de partager son amour de la mélodie au point qu’on pourrait presque parler de chansons - et il s’agit bien de chant, un chant dont les paroles seraient laissées à notre imagination.

S’il faut parler d’évolution, il faut donc aller la chercher du côté d’une plus grande densité, d’une affirmation née de l’expérience et la maturité. Par exemple, à un propos énoncé sur le ton de la confidence (« Pouff » ou « Birth ») peut répondre une « First Drop » délivrant une énergie plus convulsive, ou le thème cérémonieux de « Shinjuku Gyoen ». Les mélodies se succèdent, la plupart du temps dans un climat d’apaisement : ainsi « Am I Leaving » ou, mieux « L’art du dehors », dont le titre et la délicatesse sont une sorte de condensé de l’album.

Les ingrédients de Spray restent les mêmes (un trio guitare-saxophone-batterie), mais il faut savoir que l’alchimie, dans cette instrumentation, n’est pas évidente : en l’absence de piano et de contrebasse, les compositions recourent à des points d’appui inhabituels. Chaque musicien est sommé de multiplier les rôles, de l’invention de textures à l’enluminure, en passant par la construction de mélodies qui sautent aux oreilles. La sonorité de Casagrande, comme un velours délicatement saturé, fait écho au jeu fiévreux et interrogateur de Panzani (on pense parfois à Mark Turner), tous deux trouvant en Nemeth, plus percussionniste que batteur, un vrai mélodiste dont le jeu est mis en lumière par une prise de son au plus près.

Le plaisir qu’on éprouve à l’écoute de Spray tient à ce qu’il enchaîne les histoires à trois voix (si l’un des morceaux s’intitule « The Storyteller », ce n’est sûrement pas un hasard) ; mais il réside surtout, pour qui jouera le jeu de cette vaporisation, dans la perception progressive de leur intimité aux intonations méditatives. The Drops exerce un envoûtement singulier : Spray fait partie des disques dont le charme discret s’insinue petit à petit ; on le découvre au fil des écoutes, par un subtil processus de contagion. Il entre sur la pointe des pieds par la porte dérobée de la curiosité, sans chercher à capter l’attention par un excès de virtuosité - ces musiciens n’en ont nul besoin, d’ailleurs - leur talent n’est plus à démontrer. Mais leurs suggestions, tout en élégance, ne peuvent que réjouir.