Scènes

The Khu - Chronique de tournée

Le groupe s’est formé à Brest à l’issue d’une master class dirigée par Steve Coleman en 2011. En ce printemps 2014, il publie son premier disque et le promeut par une dizaine de dates.


The KHU se compose de jeunes musiciens - Nicolas Peoc’h (saxophone alto), Benoît Lugué (basse), Johan Blanc (trombone) et Vincent Sauve (batterie), deux Bretons, un Savoyard et un Bordelais - expatriés pour trois d’entre eux. Le groupe s’est formé à Brest, ville de résidence du saxophoniste, à l’issue d’une masterclass dirigée par l’Américain Steve Coleman en 2011. En ce printemps 2014, le groupe publie son premier disque sur un label indépendant brestois, Offoron Records, et le promeut par une tournée d’une dizaine de dates entre février et avril, parcourant la Bretagne, avec un crochet par Rouen, et passant à deux reprises par Paris.

A l’origine de cette rencontre, il y a Brest, où je croise la route du quartet en mars 2013. Il teste sur scène un répertoire à peine sorti des calepins, qu’il faut confronter au public. Ce soir-là ce dernier est bienveillant. Pourtant, le regard concentré des musiciens, rivé sur les partitions, ne fait qu’effleurer cet auditoire attentif. Une attitude que l’on doit seulement à l’ambition de la musique ! Car ces casse-cou ne sont pas là pour « bœufer » ! Je sors de ce premier tête à tête.

Nicolas Peoc’h Photo Anne Yven

Ce n’est pas l’effet du hasard si c’est dans cette ville-promontoire que je les retrouve un an plus tard. On sabre le champagne pour la sortie de leur premier album. Le langage s’est étoffé et le répertoire, rodé, a permis de mettre en boîte douze morceaux sautillants, présentés ce 20 février 2014 sur la scène de l’Espace Vauban. Le disque a pour ambassadeur « Le Brestois », titre reconnaissable à sa cadence efficace lancée à la batterie. Puis le mélodieux « Goyakhla » ouvre le jeu. Au centre la basse est ronde, la batterie prend ses appuis sur les mélodies, rassure plus qu’elle ne défie. Le concert décolle et séduit. Indiscernables du fond de la salle, les échanges sont omniprésents sur scène entre les musiciens. Les clins d’œil, coups de pouce, jeux de « je te tiens tu me tiens » entre les deux compositeurs attitrés, Johan Blanc et Nicolas Péoc’h, cadrent la scène et le set. Ils font naître quelques morceaux haletants, tels ce « Blues en pi » qui gagnerait à se prolonger tant on sent le plaisir que prennent les musiciens à se renvoyer la balle.

The Khu prend élégamment le temps d’inviter sur scène sa première partie, la chanteuse et harpiste Laura Perrudin notamment pour une réinterprétation à cinq de son « De ce tardif avril » ; rennaise, elle aussi est passée par la direction artistique du saxophoniste, dans la même promotion. Une diaphonie enrichissante naît de cette invitation a priori un peu improbable - sur le papier ; car sur scène, la rencontre est un moment de douceur à vous faire fondre le cœur.

Nul ne peut mettre en question la sincérité de l’entreprise : rendre aguicheuse, simple et pêchue, l’écriture colemanienne qui a réuni ces quatre garçons plein d’avenir. Une écriture aux principes souvent plus faciles à percevoir, voire à dessiner, qu’à mettre en mots. La pochette du disque est une référence appuyée à l’Américain et ses théories sur la géométrie sacrée. « The Khu » est aussi, faut-il le rappeler, le titre d’un morceau des Five Elements. Tout ceci rend pour le moins frappantes les similitudes entre l’initiateur du M-base et ce jeune quartet français. Le saxophone qui hachure les mélodies qu’il fait naître, les structures cycliques, les rythmiques divergentes qui se croisent et ne se recoupent pas… allégeance faite, le quartet a gagné le droit de prendre la tangente.

A l’issue d’une plage languissante (« Mangmoon ») qui met à l’honneur Vincent Sauve, le batteur, le groupe se lance à l’assaut d’un morceau plus musclé. Sur un coup de tête, Peoc’h invective le public : « Ah, vous aimez quand ça bastonne ! ». On l’avoue. Ce concert au Vauban nous a ouvert l’appétit, en nous laissant parfois (hélas !) le goût d’une sortie un peu trop scolaire. Le trac de la première, sans doute. Je décide de continuer à les suivre.

Johan Blanc Photo Anne Yven

Je prends donc une troisième fois rendez-vous avec The Khu au Pixie, café-concert situé à Lannion où, « avant et après le concert, on entend (aussi) de la très bonne musique » (dixit Benoît Lugué). Nous sommes le 5 avril, un mois et six dates après la « release party » au Vauban, et il ne me faut que quelques secondes pour comprendre que la confiance est devenue le maître-mot.

Forts en baptême, les quatre artistes ironisent sur le hasard total qui leur a fait intituler cet album Happy ?, comme le titre pop le plus matraqué par les mass(e) médias de cette année ! Mais Pharrell Williams est invité à sortir du ring, les coups vont pleuvoir. « Phosphorus » se pare de nouvelles lumières. L’enjôleur « Colours » prend ses aises, sa mélodie euphorisante et son groove contagieux m’emportent. La détente est communicative, les musiciens délaissent les partitions, les remplacent par de l’humour et s’embarquent sans détour dans une reprise du « Get Up, Stand Up » de Bob Marley. Benoît Lugué fait voguer l’ensemble vers une plage psyché, un nouveau morceau de son cru. Enfin le versatile « Happy ? » nous en fait voir de toutes les couleurs et la boucle est bouclée. Son compositeur rappelle d’ailleurs « l’importance du point d’interrogation » dans le titre de cet album plein de malice. Un album sans paresse, sans facilité, aux méandres totalement maîtrisés. Plus de doute, l’avenir de The KHU est aussi éclatant que le sourire de ses membres.