Chronique

The Langston Project

Hasse Poulsen

Hasse Poulsen (g, voc), Debbie Cameron (voc, p), Luc Ex (b), Mark Sanders (dm)

Label / Distribution : Das Kapital Records

Il y a des modes : ainsi Langston Hughes (1902 - 1967), poète noir américain dont personne ne parlait il y a seulement quelques mois, se voit soudain réveillé de part et d’autre de l’océan Atlantique par de multiples « projects », dont celui-ci est d’ailleurs l’un des premiers à s’être manifesté. Mais on connaît aussi - et sous le même titre exactement - un groupe dirigé par Ron McCurdy (trompette) avec « poetry » et vidéo, ainsi que le disque récent de Leyla McCalla Vary-Colored Songs, entièrement dédié à l’auteur de The Sweet Flypaper Of Life.

Vous me direz : « qu’en est-il de cet attrape-mouche ? Et en quoi est-il si doux, que nous irions jusqu’à mettre notre vie entière sous son abri collant et collé ? » Et vous aurez touché juste ! Sous ce titre énigmatique se cache l’un des livres associant textes et photographies les plus originaux et les plus incroyables de l’histoire de l’édition aux USA. Car si l’auteur du texte (une promenade poétique dans Harlem) est bien Langston Hughes, celui qui l’accompagne dans cette balade n’est rien moins que Roy De Carava, l’un des photographes les plus importants de l’histoire, qui, outre ce petit livre (il coûtait un dollar à sa publication en 1954) nous aura laissé peu de temps avant sa mort un gros ouvrage magnifique, qu’il portait en lui depuis des années, The Sound I Saw.

Artiste noir « africain-américain » lui aussi, Roy De Carava a photographié Harlem dans les années 50/60, attaché à en saisir quelques figures emblématiques (donc quelques jazzmen), mais surtout à en immortaliser les parfums, les lumières, les regards, les êtres vivants. Un peu - toutes choses égales - comme Duke Ellington dans sa suite « Harlem ». Alors si vous ne connaissez pas The Sweet Flypaper Of Life, je vous conseille toutes affaires cessantes de vous en procurer une réédition. Car l’original, qui coûtait si peu, ne se trouve pas aujourd’hui (sauf chance extrême) à moins de 150/200 dollars. Et dans ce cas, la bibliophilie rejoint l’extrême qualité : ce petit livre, pour de multiples raisons, est d’une beauté confondante.

Voilà pour situer (un peu) Langston Hughes, poète, écrivain, intellectuel phare de son temps et de son peuple [1] dans les années 50/60, évidemment militant des droits civiques, auteur d’un texte sur le jazz absolument limpide, et relativement mal connu chez nous puisqu’un seul livre, de la collection Poètes d’Aujourd’hui (Seghers), le documentait il y a peu, et tout à fait introuvable en plus. Dans le projet de Hasse Poulsen (on y vient), la poésie de Langston est soutenue, dite, chantée, par une Debbie Cameron qui en porte magnifiquement les audaces et la portée. Et comme, du guitariste lui-même (rompu à cet exercice à haut risque qui consiste à faire se fondre improvisations et échos de la musique « made in USA » dans une forme de jazz qui n’appartient qu’à lui), jusqu’à ses complices Luc Ex et Mark Sanders (venus en droite ligne des courants un peu anarchistes de la musique d’aujourd’hui), il règne une entente parfaite, le résultat est totalement prenant. Et, comme par hasard, nombre des textes ici chantés et mis en musique (ils sont reproduits dans le livret) sont d’une incroyable actualité. Langston Hughes a survolé son époque de si haut, avec une acuité si grande, qu’il ne saurait en être autrement.

par Philippe Méziat // Publié le 20 décembre 2015

[1Auteur également d’un fameux disque où Charles Mingus l’accompagne, The Weary Blues