Chronique

The Olympians

The Olympians

Toby Pazner (synth), Thomas Brenneck (g), Dave Guy (tp), Leon Michels (saxes), Nicholas Movshon (b), Homer Steinweiss (dm), Michael Leonhart (tp), Neal Sugarman (ts), Aaron Johnson (tb)

Label / Distribution : Daptone Records

Rarement un morceau de musique, aussi arc-bouté qu’il soit dans son propre présent, vous refusera le passage, transitoire ou définitif, dans un autre temps. Ainsi, pour son premier album, réactivant et détournant la tradition funk des odyssées intergalactiques, c’est la douce éternité des dieux de l’Olympe que cette formation emmenée par Toby Pazner a choisi de nous faire découvrir en non pas douze mais onze pistes brillantes et raffinées.

Plus de trente-neuf minutes, en effet, d’une grande richesse de sons : ici ou là, du sein des cordes et des cuivres qui s’enroulent entre eux, clavecins, flûtes, harpes ou encore orgues électriques font s’envoler leur chant. D’une souple répartition des voix : une rythmique toujours très en place, sans précipitation ni mollesse, trouvant parfois l’occasion de se faire entendre : seule (« Saturn ») ; un instrument qui vient régulièrement se mettre en avant (l’orgue Hammond d’« Apollo’s Mood ») tandis que, de temps en temps, une guitare au son légèrement distordu traverse, se baladant, tout le champ sonore (« Mars »). Et sans qu’aucune voix humaine intervienne pour nous guider dans cet itinéraire mythologique : toute l’expressivité, les nuances, la dynamique des morceaux étant confiées à l’orchestre. Probant et plaisant résultat bien que le parcours, sur toute la longueur, perde un peu de son intensité. Peut-être un choix de production tant le son semble parfois lointain, comme légèrement étouffé, donnant l’impression que certains musiciens sont partis un peu trop vite avant nous.

C’est donc une toute nouvelle formation instrumentale qui est proposée par le fameux label américain Daptone. Et de la même manière que la Motown (dont certains spécialistes reconnaissent la patte dans l’album) soutenait ses interprètes de tout un pool de musiciens aguerris qui faisaient sa marque, c’est toute la crème du label qui s’est ici prêtée au jeu. On ne citera pas une fois de plus le nom de tous ces excellents musiciens (eux-mêmes parfois compositeurs et fondateurs de label), il suffira sans doute de nommer, en plus des violonistes, violoncellistes et harpistes qui sont présents sur le disque, toutes les autres formations dans lesquelles ils jouent : Antibalas, The Dap-Kings, Menahan Street Band, The Sugarman, The Budos Band. Un jour sideman, un autre leader, c’est sans doute ce brassage, cette recombinaison permanente qui fait à la fois l’unité et le renouvellement de Daptone, et c’est ainsi toute une tradition, non, toute une histoire que cette maison de disques à la fois relance et fait avancer.

Alors pourquoi entendons-nous ici et là qu’il ne s’agit que de vague rétro, que douce nostalgie d’une époque maintenant révolue ? Et, pourquoi, nous aussi parfois, nous prenons-nous à ressentir une touche de mélancolie en écoutant ce disque mais aussi ceux de la même veine ? Le fruit de ces voyages temporels dont la musique est féconde, sans doute. Et l’acharnement, aussi, à faire exister une musique qu’on a voulu enterrer trop vite : il suffit de voir et d’entendre Charles Bradley, Lee Fields ou la regrettée Sharon Jones pour se convaincre qu’il restait encore plus que de belles années à cette musique de presque cinquante ans. Mais cette longévité est surtout le fruit, probablement, de ce fabuleux travail d’échantillonnage qu’ont réalisé les musiciens de Hip Hop ou de House pendant des années, révélant sur leurs platines (même réduites à l’état de samples) l’ampleur des pépites soul-funk qui dormaient dans les entrepôts d’invendus des distributeurs de disques. Aussi, cette musique qui a, de plus, bien souvent intégré ses prolongements africains plus récents (jazz éthiopien, Afro-Beat), regarde-t-elle moins vers le passé, comme muette d’admiration, qu’elle nous parle en silence d’un présent, dur, inhospitalier, qui cherche encore et encore ses voix.