Chronique

The Story Of Modern Farming

Someone New

Label / Distribution : D’ autres cordes

Quel drôle de nom pour un groupe de jazz…
The Story of Modern Farming, ce sont deux jeunes musiciennes. La brune, Jessica Sligter, est néerlandaise ; elle écrit les textes, chante, joue du clavier, de l’ordinateur, de la guitare, « entre autres choses ». La blonde danoise, Louise Dam Eckardt Jensen, est saxophoniste et joue du xylophone, « entre autres choses ». Toutes deux vivent à Oslo.

Le deuxième album du duo, paru en octobre 2007 sur le label français d’Autres Cordes est un objet particulièrement attachant. Dix compositions personnelles, très personnelles, commençant par une comptine de 24 secondes, « Morning Tune », droit sortie d’un jouet d’enfant et s’achevant avec « Gillende Keukenmeid » [1] dans un long cri tendu doublé d’un saxophone déchiré. Une image de la vie de femme dans les pays du Nord, entre gosses et fourneaux ?

Au saxophone, Louise Jensen grince (« St Michaels »), feule, chante aussi (« Sidespring ») dans un style très marqué par le free. Au xylophone, elle peut décrire des paysages froids et lointains dont la paix ressemble parfois à un ensevelissement. Une redoutable improvisatrice dont les interventions sont toujours porteuses de sens.

La voix de Jessica Sligter rappelle beaucoup la Patty Waters du College Tour : chaude et gracile à la fois, légèrement voilée, capable de suavité comme de toutes les ruptures, du gémissement au cri. Une Patty Waters qui aurait écouté Laurie Anderson, Björk et Sidsel Endresen. Les textes parlent, comme une écriture automatique, du quotidien, d’amour, d’autobus, des toilettes d’un avion où l’on s’enferme pour réfléchir, de choses infimes :

"It’s made me all I am
Paper cup has left its traces
followed me now years on end
it’s occupied little particles and
she, he, is still here…
made me all I am"

(« Made »)

Plus que des climats, ce sont des humeurs que crée Jessica Sligter au clavier, à l’ordinateur et à la guitare. Aussi changeantes que les nuages dans un ciel du Nord : nappes ondoyantes (« Made »), distorsions curieuses (« Hold Me Tight »), saturations volontairement exaspérantes (« St Michaels », « Kenny Gsus »).

Le duo fonctionne dans une totale interpénétration des jeux des deux artistes et ne craint pas de donner toute sa place au silence. La voix est mixée très en avant, parfois seule et nue ou doublée par l’ordinateur, parfois à peine escortée par quelques notes de xylophone ou un son synthétique aux allures de clocher sinistre. Seul « Kenny Gsus », placé au milieu de l’album, met en scène un duel instrumental paroxystique et volontiers ironique.

Someone New n’est certes ni solaire ni jubilatoire, mais cet album puise une force étonnante dans l’affirmation même de sa fragilité.

par Diane Gastellu // Publié le 29 janvier 2008

[1« La cuisinière qui crie » : aux Pays-Bas, c’est le nom d’un pétard d’artifice qui produit, au lieu d’une détonation, un hurlement