Chronique

The Tide Has Changed

Gilad Atzmon & The Orient House Ensemble

Gilad Atzmon (as, ss, cla, acc, voc), Frank Harrison (p, xyl, voc), Yaron Stavi (b, voc), Eddie Hick (dms, voc), Tila Atzmon (voc), Derek Hussey (MC, 1)

Label / Distribution : World Village

Voici dix ans et sept albums que le saxophoniste israélien Gilad Atzmon anime son quartet Orient House Ensemble depuis le Royaume-Uni, où il s’est exilé en 1994. Dix ans de combat politique pour ce farouche pro-palestinien qui conçoit sa musique comme un matériau de lutte où l’espoir se mêle aux désillusions avec grande finesse, sans jamais perdre de vue un sens du groove acéré.

On avait quitté l’Orient House Ensemble en 2007 avec un Refuge à la mélancolie saillante et aux allures de sanctuaire où la Liberté aurait été acculée… Depuis, le batteur Asaf Sirkis a quitté la maison pour des aventures plus free ; il a été remplacé par le jeune Eddie Hick, dont le style discret, moins radical, apporte un timbre nostalgique, serein, comme pour éclaircir l’horizon.

The Tide Has Changed, tout comme le morceau du même nom, traduit une oscillation entre mélancolie et espoir qui laisse libre cours au lyrisme désabusé d’Atzmon, soutenu par les tréfonds ténébreux du fidèle piano de Frank Harrison. The tide has changed… le vent a tourné. Ambivalence du titre, entre reddition amère pleine de nostalgie (« We Lament ») et regain de perspectives - ouvertes par la résistance - réenchantant cette musique languide et chaleureuse (« Dry Fear »). La présence de Tali Atzmon, épouse de Gilad, au chant sur plusieurs morceaux (notamment « We Laugh ») souligne ce sursaut d’insouciance.

On décèle même dans l’album pris dans son ensemble l’excitation mêlée d’ironie des luttes réputées vaines. Ainsi, l’excellent bassiste Yaron Stavi et son jeu fluide et capiteux confèrent à « Bolero in Sunrise » un ton relâché au milieu de morceaux exprimant des sentiments bien différents. L’adaptation de cette célèbre œuvre de Ravel, pivot de l’album, se teinte vite de rythmiques orientales qui progressent à pas comptés, inexorables telle une marée montante traversant tout l’album. « London Gaza », empreint d’une émotion propre aux déracinés, démontre toutes les qualités instrumentales d’Atzmon, qui passe de la rondeur de l’alto, avec ses sonorités proches de la tradition orientale, à des déchirures très influencées par Coltrane.

The Tide Has Changed est un album de combat ; si le jazz est toujours une musique de l’émancipation, souhaitons alors qu’elle fasse tomber les murs, brise les chaînes et porte son message. Pourquoi pas jusque dans les couloirs de l’ONU…