Entretien

Tom Rainey

Entretien réalisé à l’occasion de la sortie d’Hotel Grief

Photo : Michel Laborde

Hotel Grief (ELU Citizen Jazz) a été enregistré par Amandine Pras au Cornelia Street Café à New York, produit et distribué par le label Intakt Records et Patrik Landolt. Animé par Tom Rainey, ce trio marque par sa sensibilité et sa personnalité.

Tom Rainey par Frank Bigotte

- Le trio d’Hotel Grief se compose, outre vous à la batterie, de Mary Halvorson (guitare) et de Ingrid Laubrock (saxophone)… Tom, dans quel contexte avez-vous découvert ces musiciennes ?

J’ai rencontré Ingrid lors d’un festival de jazz en Angleterre ; nous avions des amis communs et avant de jouer ensemble, nous nous sommes mis en couple dans la vie. C’est au cours de notre relation que nous avons commencé à jouer ensemble. J’ai rencontré Mary également lors d’un festival, à Amsterdam où je jouais cette fois avec un autre projet. Elle était là avec un autre groupe et je dois dire que j’ai été très touché par sa personnalité, son sens de l’écoute au sein du groupe. Assez rapidement tous les trois, nous avons voulu travailler ensemble, on sentait qu’il y avait un bon feeling.

- C’est donc la rencontre d’Ingrid et les amis qui vous ont décidé à créer ce trio ?

C’est vraiment le son d’Ingrid et Mary qui m’a touché et surtout leurs personnalités respectives, l’idée de partager une expérience collective sur scène, une certaine idée de la musique, de la recherche du son. C’est arrivé à un moment où j’avais envie de jouer avec des personnes sincères ; nous improvisons entièrement sur scène, il n’y a pas réellement de compositions ou de directions ; nous créons instantanément. L’idée de jouer des morceaux ou un programme ne s’est pas imposée au sein du trio ; j’aime créer dans l’instant.

- Vous associez la batterie au saxophone et à la guitare, comment avez-vous choisi de travailler les sonorités de ces instruments ? Était-ce un moyen de travailler l’image de ces instruments auprès de votre public, l’inviter à développer la musique en dehors du cadre habituel du trio dans les musiques improvisées ?

Effectivement, lorsque l’on écarte la basse, on réalise une autre musique ; sans bassiste, c’est une autre expérience musicale. Mon choix est alors d’axer la pratique davantage sur la personnalité des musiciens que sur la production ou la représentation des instruments en soi. C’est comme des gens qui discutent et vivent quelque chose ensemble, vous savez : ils ont une belle conversation, partagent la même langue ; les filles jouent également de la trompette et du trombone, mais je ressentais le besoin d’être soutenu par un saxophone et une guitare. Elles ont un bagage suffisamment important pour dépasser l’objet guitare ou saxophone. C’était assez simple en définitive : on dialogue sur scène avec des instruments qui sont le prolongement d’un échange verbal.

- Vous êtes souvent invité à l’AJMi lors de vos passages en Europe. Quel dialogue avez-vous avec le public et les acteurs du jazz français ?

Sincèrement, je pense qu’il n’y a pas vraiment de différences d’un pays à un autre en Europe. Partout, y compris aux Etats-Unis, il y a de beaux endroits pour jouer. L’AJMi est très importante pour moi : il y a un suivi inconditionnel depuis des années et ça me touche, on reçoit un accueil formidable des spectateurs et des acteurs. Comme dans la vie, il y a des endroits où l’on peut se sentir moins bien : ça reste lié à des facteurs extérieurs, parfois personnels, qui viennent changer l’expérience. Par exemple, lorsque je rencontre Jean-Paul Ricard - le président, Pierre Villeret - le directeur ou Jean Delestrade - de Jazzus, je sais que le concert sera réussi car ils arrivent à créer une écoute qui permet d’être présenté dans de bonnes conditions.

- Ce trio s’inscrit dans le cadre de votre recherche expérimentale de la musique. Comment le situez-vous dans votre parcours personnel et dans votre discographie ?

J’ai réalisé de nombreux projets, très épanouissants pendant près 20 ans. Les collaborations avec Kenny Werner, Mark Helias ont particulièrement marqué ma personnalité en lien avec le développement des mes attentes musicales. J’aime ces gens, leurs musiques : ce sont vraiment des musiciens avec qui j’ai aimé travailler mais désormais j’ai envie de construire quelque chose de plus collégial, de passer du bon temps avec des amis, des proches, ma femme. C’est pourquoi je me suis engagé dans ce trio pour développer des conceptions vraiment différentes, créatives, ouvertes. Nous ressentons des choses particulières, nous défendons une musique collaborative, plus personnelle ; c’est quelque chose d’unique qui se joue entre nous trois.