Chronique

Trio Braam Dejoode Vatcher

Quintet

Michiel Braam (p), Wilbert De Joode (b), Michael Vachter (dms), Ferenc Kovacs (vln, tp), Miklos Lukacs (cymbalum)

Label / Distribution : BMC Records

Depuis plus de vingt ans, les Néerlandais de Braamdejoodevatcher brillent sur la scène européenne par la puissance et la radicalité de leur trio. Le pianiste et compositeur Michiel Braam a travaillé avec Han Bennink, tout comme le prodigieux contrebassiste Wilbert de Joode qui étonne par la diversité et la brève élégance de son jeu. Braam est également le leader du grand ensemble Bik Bent Braam, où l’on retrouve le batteur américain Michael Vatcher, qui a beaucoup travaillé avec Michael Moore avant de s’installer à Amsterdam.

De telles collaborations, feront immanquablement penser à Clusone 3, la formation de Moore et de Bennink, véritable figure de proue de la musique improvisée néerlandaise. On retrouve effectivement dans Braamdejoodevatcher ce goût immodéré pour la liberté et la concision des thèmes, que Michiel Braam compare parfois à des bonsaïs… Mais ce trio très égalitaire apporte une touche différente, notamment par la virulence et la sécheresse de la relation rythmique entre ses membres, ainsi que par leur propension à s’entourer d’invités créateurs. Ainsi, il y a deux ans paraissait Quartet, premier volet du Q project, avec comme invités Michael Moore, Mats Gustafsson, François Houle ou encore Taylor Ho Bynum.

C’est désormais en Quintet, avec les deux musiciens hongrois Ferenc Kovacs au violon et à la trompette et l’incontournable Miklos Lukacs au cymbalum que le trio poursuit l’exploration de l’écriture précise et raffinée de Michiel Braam dans ces Q Project. L’approche s’en trouve bien sûr différente, et se retrouve parfois proche de la musique traditionnelle si chère à ces deux musiciens habitués des productions BMC [1]. Sur la composition « Q16 », notamment, déjà présente sur Quartet, le violon de Kovacs transporte la musique de Braam dans une douceur d’Europe centrale. De la même façon, « Q13 », solidement tenu par la contrebasse franche et parfois réduite à sa simple pulsation de De Joode, est une lente progression vers des fragrances de la Vienne « seconde école », jouée par un piano nonchalant qui se perd parfois entre les cordes frappées du cymbalum [2]. Lukacs, impressionnant de justesse, place son cymbalum, à l’instar de la harpe, dans une cette catégorie d’instruments inusités en jazz et qui compte peu (Lukacs est certainement le seul !) d’improvisateurs de premier plan malgré des possibilités infinies. Lukacs apporte énormément à la couleur générale de l’album, ouvre des pistes, travaille la densité des cordes tout en accentuant la polyrythmie avec un réjouissant succès…

À ce très intéressant travail sur la masse sonore, tel qu’on peut l’entendre sur la composition « Q7 », les deux Hongrois apportent un relief inédit, fait de l’enchevêtrement de frappe et de cordes et de mimétisme entre piano et cymbalum, porté par un échange urgent entre batteur et bassiste. On croit surprendre çà et là quelques bribes de Bartok, ou les éclats d’un groove cabossé (« Q26 ») dans un processus de création qui ne s’interdit aucune influence.

Quintet est une très intéressante illustration de ce que peut être la musique improvisée dans sa conception la plus immédiate, lorsqu’elle se régénère au contact de musiciens à la personnalité différente. Ce solide trio néerlandais démontre que l’écoute est la clef d’une musique en perpétuelle évolution. Le résultat est organique, fulgurant parfois, comme sur ce « Q1 » où les dissonances de Kovacs soutiennent un déluge rythmique très volontariste. Il s’impose comme une évidence à ceux qui goûtent la poésie des échanges instantanés.

par Franpi Barriaux // Publié le 7 décembre 2010

[1On peut entendre Miklos Lukacs sur bon nombre d’albums BMC sortis à la rentrée 2010, notamment celui d’Ozone This Is C’est La Vie. Kovacs est un trompettiste et violoniste apparu dans le Tartim de Viktor Toth.

[2L’article Wikipédia sur le Cymbalum.