Chronique

Trio Grande & Matthew Bourne

Un matin plein de promesses

Michel Debrulle (dm, perc), Laurent Dehors (s, cl, cornemuse), Michel Massot (tu, tb), Matthew Bourne (p)

Label / Distribution : De Werf

On ne va pas parler d’OVNI, car Trio Grande, et avant cela Rêve d’Eléphant Orchestra, nous ont habitués à une musique hors du commun. Mais il faut de nouveau se rendre à l’évidence : ce groupe propose une musique en décalage flagrant avec la production jazz actuelle.

À nos trois musiciens fondateurs et gentiment déjantés (Michel Debrulle, Laurent Dehors et Michel Massot) s’est ajouté l’Anglais Matthew Bourne. Ce jeune pianiste s’est déjà fait remarquer lors de prestations solo où son jeu écorché, bouillonnant et physique, flirte souvent avec les limites du jazz et de ses structures. Voilà qui ne risque pas de mettre de l’ordre dans ce bazar.

Pourtant, on entre dans ce disque à pas feutrés, comme dans la chambre en désordre d’un enfant endormi. Mais bien vite tout s’anime, car Trio Grande, c’est le jazz festif, la démesure, voire l’anarchie. Chez ce groupe, la dérision et l’humour sont omniprésents. Et il fait feu de tout bois. La valse, le jazz, la java, les ritournelles inspirées de Nino Rota ou les délires iconoclastes d’un Spike Jones sont passés à la moulinette de l’esprit imaginatif du quartet. Tout au long de l’album Debrulle insuffle une pulsation haletante, tantôt nerveuse, tantôt détendue, soutenu par le tuba d’un Massot toujours inspiré.

Mais il ne faudrait pas retenir que cela dans ce Matin plein de promesses. Ainsi, la ballade crépusculaire « Cinéma-Danse » ou « Le bossu de Rossignol » (seul morceau de Bourne, inspiré par l’endroit où le groupe a expérimenté pour la première fois la formule [le Gaume Jazz Festival] nous emmènent dans un monde aussi lyrique qu’onirique. Le piano et le saxophone dialoguent avec tendresse et désabus. Mais Trio Grande aime aussi explorer la musique comme il explore le monde. « Le Ciel » est une mélodie douce et fatiguée qui nous ouvre les portes de l’Afrique. Les rythmes obsédants, tendance gnawa, excitent alors un « Scarabée » jusqu’à le rendre fou. On touche ici à une certaine idée du free jazz. Et les délires pianistiques de Bourne trouvent en l’explosion des cuivres un écho magnifique. Laurent Dehors use et s’amuse de différents saxophones, de clarinettes ou même de cornemuses. Son jeu à la clarinette basse sur « L’hypnotique », morceau au motif lancinant, agit comme un courant d’air chaud qui se pose sur les notes sombres du piano. Avec Trio Grande, décidément, on n’est jamais jamais au bout de nos surprises.

Un matin plein de promesses respire la gravité insouciante et optimiste d’un groupe d’adultes qui a gardé l’esprit adolescent. Et nous fait rêver à un monde où tout est peut-être encore possible…