Chronique

Trió Kontraszt

A Dionüszoszi Hangszikráktól az Elmülás Csöndjéig

Stevan Kovacs Tickmayer (p), István Grencsó (ts, ss, bcl, fl), Szilveszter Miklós (dms, perc)

Label / Distribution : BMC Records

A l’occasion du précédent album du Trió Kontraszt, déjà sorti chez Budapest Music Center, nous notions l’extrême brièveté des morceaux, plus ramassés que brutaux, qui émaillaient cet album de retrouvailles. Car entre le pianiste Stevan Kovacs Tickmayer et le multianchiste István Grencsó, ce n’est pas à proprement parler une histoire débutante : la rencontre entre l’élève de Kurtág et le symbole hongrois d’un jazz libertaire derrière le rideau de fer date de plus de 30 ans. Il fallait sans doute relier les vieilles attaches et raviver les souvenirs. A l’écoute de « Elakadozós », le premier titre, c’est indubitablement le cas. Entre les clusters méticuleusement calculés de Tickmayer et les coups de boutoir du ténor belliqueux, les contrastes sont de retour. Ils sont exacerbés par le rôle-pivot du batteur Szilveszter Miklós, qui remplace Tamas Geröly. L’impétrant est un des percussionnistes préférés de Grencsó, habitué de son Kollektíva. On comprend pourquoi lorsque se met en route la fabuleuse machine de « De Ira  » et que piano et batterie rivalisent de frappes pour désigner au saxophoniste un mur de son sur lequel se fracasser.

Le nouveau venu, qui prend à cœur ce numéro d’équilibriste, change radicalement la temporalité de l’orchestre. Terminées les prises de paroles émaciées. « Sirató », le morceau central, est long. Les tambours en sont le régulateur, placé en pointe entre un harmonium qui se propage lentement aux cordes du piano et un saxophone qui semble jouer au sein même des entrailles du clavier, dans un climat fort étrange. Au fil du morceau qui évolue à pas comptés, c’est la clarinette basse qui prend le relais, et la batterie s’efface, laissant çà et là quelques éclats feutrés, comme un cœur qui bat doucement, suffisamment pour permettre une respiration apaisée. C’est au troisième acte, où Grencsó passe à la flûte, que l’on comprend que A Dionüszoszi Hangszikráktól az Elmülás Csöndjéig est une œuvre millimétrée et très écrite en dépit des accès de liberté des deux musiciens du Kollektíva. La flûte, au timbre toujours oriental, est idéale pour faire perdurer ce sentiment de divagation fiévreuse qui étreint l’auditeur. Chacune des pièces, majoritairement composées par Tickmayer, est un espace de narration codifié où les solistes sont néanmoins libres. Il en résulte de belles passes d’armes qui n’entament pas une vraie complicité.

Ce serait donc cela, le contraste revendiqué par l’orchestre : une manière de faire coexister une approche contemporaine et une véritable spontanéité. Une démarche réussie qui offre à la fois de mettre en valeur les angles saillants des élans individuels et de jeter une lumière crue sur les instants très collectifs. Paradoxalement c’est le court « Zenón Apória », renouant avec les formats passés, qui l’illustre fidèlement, entre cette nappe à l’unisson et les brusques attaques de clavier et de tampons. A Dionüszoszi Hangszikráktól az Elmülás Csöndjéig est un précipité de l’identité particulière de l’avant-garde hongroise actuelle. Un furieux mélange d’apparence instable qui se révèle complexe et raffiné. On se régale de cette décoction dionysiaque.