Scènes

Trio Sud en concert

Symbiose et dissonance…


Sylvain Luc : guitare ; Jean-Marc Jafet : basse ; André Ceccarelli : batterie. Espace Julien, Marseille, 13 mars 2003, dans le cadre du Cri du Port.

Dès le premier morceau, magnifique et longue version des « amants d’un jour », le ton est donné : introduction douce et sensible d’André Ceccarelli et son jeu de balais tout en subtilité, minimaliste mais dégageant un incroyable feeling. Le batteur à observer pour comprendre la sensualité de la batterie, lorsque les peaux sont caressées et non pas frappées. Entrée de Luc, le gredin à la Godin, qui joue aux questions-réponses avec Ceccarelli à coups de clins d’œil en pizzicato. Survient le dernier larron, Jafet, qui a délaissé la contrebasse et la fretless au profit d’une basse traditionnelle, et qui fait tourner une ligne de basse dansante et chaloupée. Le thème est ensuite exposé rubato par Luc et laisse rapidement place à une série d’improvisations très riches, construites sur des accords, renversements, chromatismes et voicings dont la dissonance toujours musicale est véritablement la signature du guitariste.

André Ceccarelli par Hélène Collon

En effet, celui-ci bâtit ses improvisations de manière toujours pertinente et étonnante, prenant bien soin d’éviter les enchaînements à grande vitesse de gammes qu’affectionnent malheureusement trop souvent bon nombre de virtuoses. A la facilité de l’esbroufe technique Sylvain Luc préfère le chemin périlleux qui consiste à épuiser toutes les possibilités harmoniques d’un morceau. Cette approche risquée porte ses fruits car elle lui permet d’être brillant dans la relecture de morceaux faisant partie du patrimoine de la chanson, tout comme dans les standards ou les ballades, généralement si difficiles à interpréter. Parfois Sylvain Luc cède au plaisir de lancer sa monture au grand galop et gratifie le public de descentes de manche exécutées à une vitesse hallucinante mais ces interventions ne durent pas et le musicien revient rapidement à ses voicings de prédilection. De plus, le guitariste explore toutes les possibilités sonores de l’instrument, suivant qu’il joue aux doigts ou avec un médiator et l’endroit où il pince les cordes. Il se hasarde même à une étonnante partie de slap, probable réminiscence de sa carrière passée de bassiste.

Sylvain Luc par Hélène Collon

Le concert dure deux heures pour environ huit morceaux, entre airs connus, ballades et funk ; chacun d’entre eux est malaxé, torturé, métamorphosé et dure suffisamment longtemps pour que chaque musicien s’exprime pleinement. Ceccarelli s’offre de nombreux solos qui lui soutirent des exclamations de satisfaction que ne renierait pas Keith Jarrett, et Jean-Marc Jafet place également quelques belles interventions, dont une agrémentée d’un clin d’œil en forme de citation au légendaire « Birdland ». Le jeu des trois hommes est parfaitement complémentaire et rôdé par plusieurs mois de tournée, et pourtant le plaisir de jouer ensemble est manifestement présent, visible, ainsi que les coups d’œils complices et la surprise d’expérimentations rythmiques ou mélodiques imprévues. Après deux rappels, le public quitte la salle en ayant assisté à un magnifique voyage aux frontières de l’harmonie et de la mélodie.