Chronique

Trovesi / Petrin

Twelve Colours and Synesthetic Cells

Gianluigi Trovesi (as, cl, pic), Umberto Petrin (p)

Label / Distribution : Dodicilune

Le clarinettiste Gianluigi Trovesi a toujours fait preuve d’une attirance pour la musique écrite occidentale, où il plonge ses racines comme ses inspirations. A l’instar de Michel Godard, qu’il avait récemment rejoint dans l’Astrolabio de Roberto Ottaviano, c’est principalement la musique baroque et médiévale qui a nourri son imaginaire et ses albums. Monteverdi, souvent, mais aussi Josquin Desprez, honoré dans un trio avec Fulvio Maras et Umberto Petrin. Il retrouve le pianiste pour ce Twelve Colours and Synesthetic Cells paru sur le passionnant label Dodicilune. Ce duo construit autour d’Alexander Scriabine souligne la continuité entre l’ancien et le moderne avec finesse. La douceur de « Summer Evening » où le saxophone alto, outil rare de Trovesi, darde un piano au registre classique de rayons très chaleureux. Dans ce morceau, le Prélude Op. 15 de Scriabine est un point de départ, un matériel qui permet de tracer des perspectives et de prendre la tangente.

De ce point de vue, la démarche de Trovesi et Petrin est assez proche de celle de Guillaume de Chassy, à la fois respectueuse et farouchement innovatrice. Néanmoins, là où le Français est très spartiate dans chacun de ces gestes, les Italiens goûtent une certaine faconde qui n’était pas pourtant le trait marquant de la musique du contemporain de Stravinsky. Scriabine est une personnalité à part dans l’histoire de l’art russe, fasciné par Chopin (on le constate dans « Ossip Disse », empesé de silence) mais vite tenté par un dodécaphonisme lesté d’un grand mysticisme. C’est cette voie que le duo emprunte dans la suite centrale « The Twelve Colours of Skrjabin » qui reprend en dix-sept mouvements l’idée des partitions colorées de Prométhée, le Poème du Feu du maître russe. A chaque ton une couleur et son propre univers joué en camaïeu dans autant de miniatures.

Ainsi, « Blu Perlaceo » est tel un matin cotonneux avant une canicule. Le piano perle comme la rosée et la clarinette souffle un vent déjà chaud. A l’inverse « Rosso » est une joie primesautière et insolente où Trovesi jubile. Scriabine était paraît-il synesthète, ce délicieux désordre neurologique qui fait interagir deux sens en même temps, et nos musiciens parviennent à en restituer l’idée, à défaut de parvenir à définir l’inimaginable. Après avoir enregistré un magnifique Roccelanea avec Paulo Damiani, c’est encore à des retrouvailles d’anciens de l’Instabile Orchestra que nous sommes conviés. Décidément un vivier de grands musiciens.