Chronique

Tu danses ?

Autres directions

Christian Mariotto (dms, perc, synth), Jean-Marc Baccarini (sax, boîte à coucou), Philippe Canovas (g, loops)

Label / Distribution : Autoproduction

Publié en 2011, le deuxième disque du trio Tu danses ? est un témoignage attachant de la vitalité des explorateurs sudistes [1] que sont Jean-Marc Baccarini (saxophones), Philippe Canovas (guitare) et Christian Mariotto (percussions). Tous trois se connaissent fort bien et pas seulement parce qu’ils sont nés au sud de la Loire. Leurs routes se sont souvent croisées, comme avec les Contres favorables [2] de Canovas ou Mikatopjam, qui se veut dédié à l’improvisation instinctive et dont le disque Dédales avait pour invités Barre Phillips et François Rossé. Voilà donc un solide trio, rompu aux exercices exigeants de l’invention et pratiquant sans complexe la spontanéité comme une nécessaire discipline créative.

Autres directions confirme le bien qu’on pouvait penser de son prédécesseur, sobrement intitulé Tu danses ? Trio, né trois ans plus tôt. Voilà un exemple réussi de musique qui assume avec une élégance fière mais jamais hautaine son caractère libertaire en s’autorisant toutes les directions que ses géniteurs souhaitent lui donner, au gré d’une imagination presque cinématographique.

Toujours, au départ des douze histoires – mais ne vaudrait-il pas mieux parler de scénarios ? – qui nous sont contées ici, une situation qui s’expose tantôt sous la forme d’une interaction débridée ou bruitiste entre instruments (« Giggi »), tantôt par une mélodie au thème accrocheur, parfois nostalgique : il en va ainsi de « Steve McQueen » qui, avec ses faux airs de fête nocturne, évoque un manège un peu désenchanté tournant sous nos yeux, ou du bref « Psy Cowboy » habité d’une bonne dose de mélancolie. Autant de prétextes aux explorations et incessants changements de cap que le trio va s’autoriser. Une liberté cependant contrôlée par la nécessité du chant et de l’esprit d’équipe : la musique de Tu danses ? n’est jamais aride : son propos demeure toujours d’une grande limpidité mélodique grâce à la complicité et l’écoute réciproque qui règnent entre ses trois acteurs.

Mais surtout, dans ce trio malicieux, rien ne se passe jamais vraiment comme on pourrait le supposer. Comme s’il s’agissait d’installer en permanence un climat d’instabilité pour mieux capter l’attention en ménageant le suspense. Une mélodie vous caresse ? Elle sera vite fracassée par le surgissement d’une pluie de percussions ou le cri d’un saxophone soprano. A l’inverse, une introduction free cèdera vite la place à un dialogue plus apaisé et mélodieux, avant le retour à un climat qui pourra être saturé d’électricité : à cet égard, le ton est donné d’emblée avec « La part’ à l’appart » qui ouvre le disque. Ruptures, changements de rythmes, illustrations pointillistes ou martèlements plus menaçants, comme ceux d’une batterie presque « vanderienne » sur « Avant la pluie », repoussant sur le bas-côté la fragilité esquissée par la combinaison initiale des trois instruments. Baccarini, Canovas et Mariotto sont à leur façon de vrais metteurs en scène de leur musique, capables d’installer un climat de tension et de susciter en nous une alternance – plutôt stimulante – de moments d’extase et d’inquiétude. Dans ce jeu de montagnes russes, « Autres directions » est peut-être la composition qui synthétise le mieux leur entente : bruits ou chuchotements émis par la guitare et les percussions pour diffuser le mystère, avant l’exposition du thème au saxophone ténor doublé par les cordes et une longue montée, presque incantatoire, quelque part dans un univers que ne renierait pas Pharoah Sanders. En quelques minutes, bien des émotions seront passées.

Ces Autres directions sont à considérer comme des propositions fugitives, presque éphémères, où les musiciens s’engouffrent avec gourmandise, comme s’ils n’étaient jamais certains qu’elles leur seront renouvelées. La formule saxophone - guitare – batterie, assez inhabituelle, est pour eux une alliée qui les conduit à imaginer en permanence toutes sortes de dérivatifs à l’absence de cette colonne vertébrale qu’est la contrebasse dans le jazz. Un manque très vite comblé, voire oublié, tant ces solistes maîtrisent la substitution instrumentale. Ils deviennent alors des illustrateurs de l’immédiat, constamment en équilibre sur le fil ténu que leur impose leur musique de l’instant. Avec en permanence un œil (ou plutôt une oreille) sur la mélodie, jamais loin des échanges fructueux. En cela, Autres directions est un disque précieux car présenté comme une suite d’idées fortes que Jean-Marc Baccarini, Philippe Canovas et Christian Mariotto n’ont de cesse d’illustrer par leurs propres réflexions. Sans jamais tomber dans le piège du hors-sujet ni de la répétition.
Alors, tu danses ? Avec plaisir !

par Denis Desassis // Publié le 27 février 2012

[1Cependant, bien qu’originaire de Marseille, Christian Mariotto est lorrain d’adoption puisqu’il habite Nancy.

[2Où l’on retrouve aussi la pianiste Perrine Mansuy et le contrebassiste Bernard Santacruz.