Chronique

Twits

Dispositif de tensions

Aurélien Besnard (cl), Jonathan Fenez (turntable), Julien Mauri (dm), Marc Siffert (b), Abel Gilbert (voc), Yann Lecollaire (cl)

Le titre de l’album de Twits, jeune quartet de Montpellier dirigé par le clarinettiste Aurélien Besnard résume bien ce disque radical et très expressif. En effet, Dispositif de tensions, au-delà de sa nomenclature électrique, est une suite de turbulences physiques qui rend la musique - pourtant puissante - presque fragile, via un étrange paradoxe entre le vulnérable et l’inexorable.

Vulnérable comme sur « Seul avec ses nerfs » lorsque la clarinette, virevoltante de précision, semble emprisonnée dans les attaques séditieuses du turntabliste Jonathan Fenez, véritable architecte du son de Twits - ce son pris comme matériau brut sculpté par une improvisation très structurée, brûlante, urgente, immédiate. Mais la vulnérabilité sait faire place à l’inexorable sur « Etranglement des flux » où l’électricité s’emballe dans une sorte de défouloir âcre où basse et batterie semblent ne jamais se lasser de la surenchère.

Scindé en deux blocs qui s’entrechoquent de manière que de la collision résulte la cohésion, la rythmique drum’n bass du fantastique Julien Mauri, pilier - comme Besnard - du label Rude Awakening, et du bassiste Marc Siffert, devient acide et extrêmement charnelle, presque somatique tant est pulsatile la nervosité des échanges, des déchirements et des fêlures discontinues.

Il en résulte une indéniable atmosphère, aride et malsaine sans doute, mais entêtante, et qui suscite effectivement une tension - une synthèse de plus en plus courante dans la jeune génération de jazzmen français (de Kumquat à DDJ en passant par Umlaut), entre un jazz pratiqué en toute en liberté et une escalade bruitiste et électro-acoustique qui va chercher du côté de la musique électronique et à d’un rock hard-core jusqu’à l’expérimental, notamment lorsqu’intervient le chanteur Abel Gilbert, dont les diatribes rauques ajoutent encore de la de tension à cette improvisation écorchée.

Face à cet ordonnancement du chaos on pense bien sur à Otomo Yoshihide, dont l’influence s’instille dans chaque encoche griffée d’électricité, mais surtout à la collaboration Akosh S. /Erik M, notamment sur « L’axe tord en périphérie ». Ici la froideur industrielle semble vouloir masquer cette sensibilité à vif, lorsque le clarinettiste Yann Lecollaire, entendu dans le Sens de la marche de Marc Ducret, vient mêler aux envolées de Besnard des gimmicks urbains de voix scratchée, avec une unité qui se délite dans un chaos raffiné. Un disque difficile, ardu, mais prenant et capiteux, comme un produit toxique mais addictif.