Chronique

Uri Caine & Arditti String Quartet

Twelve Caprices

Uri Caine (p), Irvine Arditti (vln), Ashot Sarkissjan (vln), Ralf Ehlers (alto), Lucas Fels (cello)

Label / Distribution : Winter & Winter/Harmonia Mundi

Délice subtil mais riche : la viennoiserie, délice des petits déjeuners où la priorité est donnée au plaisir plus qu’à la stricte observance des règles diététiques. Bien qu’enregistrés en Allemagne, les Twelve Caprices de Uri Caine (enrobés des cordes de l’Arditti Quartet) émettent un arôme qui rappelle plutôt les pâtisseries du pays voisin et de sa capitale au prestigieux passé musical. Du romantisme au furieux modernisme dodécaphonique de Schoenberg et consorts.

Généralement rangé au rayon jazz des médiathèques et magasins, en ville ou en ligne, Uri Caine n’en est pas à sa première escapade. Le pas de côté et le passage de frontières en fraude forment même son ordinaire. D’ailleurs, en ce qui concerne la musique dite classique, genre auquel ce disque est très probablement rattaché dans les établissements cités plus haut, il n’a rien d’un novice, ayant travaillé la matière même avec des réarrangements de Mahler, Wagner, Beethoven, Bach ou Schumann, et joué avec un nombre assez considérable d’orchestres à cordes.

Ici l’orchestre compte quatre membres et près de quarante ans d’âge.
L’Arditti Quartet, grand nom de la musique contemporaine, interprète de compositeurs majuscules jusqu’à en être statufiés (Aperghis, Xenakis, Kagel, Ligeti, ou Stockhausen - le célèbre enregistrement dans l’hélicoptère). Habitués, donc, à fréquenter les auteurs reconnus par les encyclopédies et les conservatoires, ces Anglais ne dédaignent pas pour autant les causes académiquement moins sûres. Il y a peu, c’est sur un très bel album de Fred Frith - sorti comme Twelve Caprices chez Winter & Winter – qu’on pouvait entendre leurs archets. Et dernièrement, Uri Caine, déjà, sur un disque au carrefour de la musique écrite (pour les cordes), de l’improvisation (pour le piano) et la performance sans filet (enregistrements en une seule prise).

Histoire de vous mettre en appétit, petit inventaire lacunaire sous forme de morceaux choisis, dans le désordre, au hasard des « caprices » :

Le Caprice 8 : se déroule dans une Vienne regardant vers un avenir américain dont John Adams ferait un bon représentant. Une pièce très rythmique rehaussée d’un gimmick presque pop au piano.

Le Caprice 3 jette un œil à l’opposé, sur les fougueuses giclées de cordes de quatuors et quintets chostakovitchiens qui viendraient cravacher, alternativement, le romantique indolent et le moderniste crispé.

Le Caprice 6 joue en majesté dans le registre sentimental, tiré par les graves, pour un romantisme d’école proche de Mendelssohn où le violoncelle domine les émois.

Le Caprice 11 offre une alternance de houleuses traversées de clavier aux accents rêches avec de délicats passages schubertiens propres à fendre l’âme en deux.

Le Caprice 12 est sans doute le plus imprégné d’hétérodoxie schönbergienne, à ceci près qu’il se métisse de traits de piano proches des « clusters » – ces amas de notes frappées du plat de la main, du poing ou du coude - introduits par le compositeur américain Henry Cowell.

Point commun : tous sont d’excellente facture, présentés dans un écrin cartonné richement décoré - comme toujours chez l’excellent label Winter&Winter - de tableaux de Mamiko Takayanagi peints en même temps que se créait le disque.

De ce festin, on sort certes rassasié, mais avec l’envie de retourner picorer très vite.