Scènes

Uzeste Musical (2)

Suite du journal des Manifestivités


Où notre reporter va de découverte en étonnement. Suite du premier volet de ce périple initiatique.

Mardi 20 Août

A Uzeste, la nuit n’est jamais vraiment silencieuse. A 5 heures du matin, c’est un djembé qui résonne, à 7 des gens qui s’engueulent et à 10 d’autres qui sont furieux du bruit de la nuit ! Le temps s’est rafraîchi, ce qui aide au réveil douloureux.

Après un nouveau concert de tambours (du bourg), c’est l’heure d’un débat. Ils sont présents depuis plus de 10 ans. L’intitulé en est « le sport contre les peuples », par le sociologue Robert Redeker.
Très beau travail, un peu dans la lignée de Bourdieu (auquel le festival est dédié) c’est à dire farouchement déterministe : les structures emprisonnent fatalement l’individu. Le sociologue a du mal à admettre qu’il n’a mis en avant qu’une des facettes du problème, en fin de compte les dérives du sport et se heurte au public. Les différentes interventions sont d’ailleurs adoubées par un joueur d’accordéon qui en fait des tonnes.

Autres discussions mais cette fois-ci à l’Estaminet où on panse les plaies de la veille. La blessure, c’est bien entendu la projection vidéo, les aides soignants, les réalisateurs et les grands malades, le public.
Une thérapie de groupe très courtoise où on s’interroge. Qui décide de siffler le spectacle au nom des autres ? Que nous renvoie ce film, qu’interroge-t’il ? Le réalisateur nous fait remarquer que cette gêne de la longueur est liée à notre culture télévisuelle et notre emploi du magnétoscope. Ainsi une étude révèle que les spectateurs qui regardent un film en cassette ont plus tendance à visualiser non pas le temps écoulé, mais le temps restant. D’où le trouble de la veille : personne n’a plus la télécommande et subit. Uzeste Musical, Uzeste Médical.
Au même endroit, Patrick Délétrez a installé ses imachines à son en hauteur. Un très curieux dispositif d’objets détournés (poupées, squelettes, boîtes lumineuses…) qu’il pilote depuis un clavier et qui produisent des sons étonnants. C’est un acteur qui est l’invité du soir, Jacques Edouard qui tord un texte comme il peut. Alchimie étonnante des mots et des sons, on ne pourra pas revoir les étranges machines…la faute aux autres concerts.

Après il faut choisir. On zappe Corneloup, mais d’après des voisins, l’actrice Isabelle Loubère du dernier quart d’heure fut magistrale, et a même failli, pardonnez l’expression, se taper un orgasme sur scène. De quoi nourrir quelques regrets…
Donc, on se rend au Parc Daudet. La folie d’Antonin Artaud est lue - on aurait aimé la voir plus jouée, vécue quoi - avec entrain par Gilbert Tiberghien. Cette folie fait même rire, tant Artaud s’acharne à montrer que ce sont les gens qui l’ont interné qui sont irrationnels.
L’air est de plus en plus léger et frais. Une ivresse qui a aussi largement gagné André Minvielle ! Donc il pianote d’abord un peu bêtement sur son sampler et une fois ses esprits revenus il laisse le public ravi par de brillants « vocalpinismes ».
Les gens participent allégrement aux exercices proposés par le chanteur béarnais. On se sent tous un peu chez soi, la communication est facile et le Sauternes coule dans nos gosiers. Que sont venus chercher les spectateurs ? Sans doute une diversité artistique unique, des surprises - même si le festival a ses habitués en rentrant dans une certaine routine, un état d’esprit non gangrené par le parisianisme et qui sent bon le terroir.

Au Parc, Bernard Lubat se présente avec le projet qu’il a créé il y a un an à Paris, à savoir son solo.
S’il irrite par quelques discours pas toujours nécessaires (Commencez, Comment c’est…), on ne peut que constater son originalité pianistique, du contemporain jusqu’au gag (des balles de ping-pong sur les cordes). Mais c’est son solo de batterie perpétuellement inventif qui laissera franchement rêveur, entre sons éclatés et des électroniques assez inouïes. Qui a dit qu’il en jouait de moins en moins bien ?
Troisième et dernière étape, des tambours, à présent baptisés « d’ici d’en ». Du rythme, encore du rythme, mais avec les instruments de la Compagnie, mêlés au free style du rappeur Chico ou aux scats des enfants d’Uzeste (avec encore la longue chevelure blonde du fils Lubat). Ca groove dur, et l’Afrique n’est pas très loin dans la recherche de la transe.

Pour clore la soirée, encore des percussions avec le groupe Shango qui fait danser les unes après les autres de jolies demoiselles. Dans ces cas là autant rester spectateur, non ?

Mercredi 21 Août

Camarade, c’est quoi être de gauche aujourd’hui ? Des élus, des responsables locaux argumentent, comparent leurs actions. A vrai dire cela reste assez fumeux. L’amie qui m’accompagne trouve même cela grotesque. Je lui suggère de parler un peu moins fort ! Voilà ce qui peut irriter ici, ce côté tchatche de gauche qui utilise beaucoup de salive. D’un autre côté, il y a aussi une volonté d’action éducative. Les plus jeunes sont pris en charge, ont diverses activités musicales et picturales. Les enfants d’Uzeste présentent même une pièce de théâtre : Omelette à Malibu que je ne verrai pas, la faute à …vous savez quoi.

Avant cela Marc Perrone, un des grands habitués d’Uzeste est venu nous conter quelques histoires avec son accordéon, en compagnie de Marie Odile Chantran (vielle) et André Minvielle (batterie et aiguilles à tricoter). On chantonne, doucement émus par cet homme qui désarmerait toute violence au moindre sourire. Et on ne tarde pas à faire le bal en plein soleil, même si les débutants dont je fais parti s’emmêlent quelque peu les pinceaux !
Ici on voudrait se transformer en spect-acteurs. Chanter oui, danser sûrement, gueuler pour les uns - il y a un espace consacré à ce genre de sport pour excités solitaires, s’ouvrir pour les autres, et…trop boire pour quelques uns. Avec la volonté de briser le cadre traditionnel de l’écoute. Dans cette faune, des habitués, des nomades sans tente (et qui doivent joliment grelotter la nuit) et aussi beaucoup de jeunes qui ne connaissaient pas le festival, son histoire et qui sont venus un peu par hasard.

Vous prendrez bien un peu de classique ? C’est à 17 heures derrière la boucherie - on aurait plus vu ça en pleine forêt. Le pianiste est un amateur d’un bon niveau, parfois brouillon, et il n’est pas aidé par les abeilles qui l’obligent à interrompre subitement un morceau ! Tandis que glissent Schumann et Fauré, je lève les yeux : il y a là les affiches des premières éditions. A quand le disque rétrospectif prévu en 1995 ?
Vite, direction le Parc Daudet, on est un peu en retard pour une nouvelle lecture.
Le directeur du PRATO (à Lille) Gilles Defacques fait vivre le texte « Effroyable Jardin » de Michel Quint. D’instants tragiques sur fond de deuxième guerre mondiale surgit le rire ; un homme se présente au procès de Maurice Papon avec un nez de clown. Un accessoire qui va très bien à Defacques, qui allait prouver le soir qu’il était un improvisateur comique de génie.

Avant la Nuit Poïésique, une halte aux journalières délibérations prud’homartistiques. Le Querrec vide deux ou trois rouleaux sur de jeunes demoiselles qui s’agitent avec frénésie au son de la Fanfare des Durs à Cuivre. Le Leica posé, il les rejoint pour faire l’Africain au milieu des blancs.

Nuit. Voilà à présent la poésie qui revêt plusieurs formes. Humoristique, folle pour une performance géniale de Gilles Defacques et de Yoann … Scheidt (il ne savait même pas son nom le bougre !). Une demi-heure de rires improvisés et de cabotinage magnifique, avec comme vague sujet l’histoire de la poésie de la préhistoire à nos jours. Ceux qui ont été présents chantent maintenant chez eux : « T’es où ? Où t’es ? T’appelles d’où ? Tu fais quoi ? T’appelles d’où ? » à leur téléphone portable.
Le rire se brise soudain pour laisser place à une intensité grave qui vous prend aux tripes. Serge Pey et André Minvielle donnent dans la revendication brute. Nous sommes cernés par les cibles. Violence du choc.
Nouveau contraste : Tendre est la nuit. Les contes sur fond de flûtes et fifre sont lus avec une belle intensité par René Martinez que l’on croirait sorti de la Grèce Antique.
Difficile ; la langue gasconne renforce l’hermétisme de certaines prestations. Mais quand le fameux Bernard Manciet (LE poète gascon) monte sur scène, on est tout ouïe sans rien y entendre. Effet cérémonial garanti, renforcé par les torches qui entourent la scène, les couleurs rouges et la musique contemporaine que jouent Lubat et Auzier.

Sauvage. On retrouve les joyeux lurons de la Compagnie des Musiques à Ouïr à l’Estaminet (oui, oui encore) qui bégayent quelque peu leur décalage oreille pendant une heure. Mais quand notre accordéoniste des débats fait mettre tout le monde debout, la folie vient enfin, la danse secoue le café jusqu’à en empêcher Marie Lubat (la mère) de dormir tranquillement. Elle doit en avoir l’habitude.

Le coin de la-matrice (authentique découvreuse uzestoise vierge de tout jazz) :

Juliette, 8 ans, cyber-carte postale

Cher papa,
Tu avais raison, Uzeste c’est super. J’ai fait plein de dessins pour toi, et j’ai aussi joué de la musique. J’ai rencontré Hugo, un garçon que j’aime, dans le grand chateau gonflable. C’est que pour les enfants, mais y’a des adultes qui sont jaloux alors on les laisse venir un peu. Hugo, il veut être musicien quand il sera grand.
A midi, il y avait plein de monde autour d’un vieux monsieur qui jouait de l’accordéon. J’ai pleuré mais c’était à cause de la musique et maman m’a serré dans ses bras très fort. Après, tout le monde a dansé en se tenant par la main, c’était drôle !
Dis papa, on pourrait pas venir habiter à Uzeste ?