Scènes

Vague de jazz 2014 (4)

A mi-chemin du festival, les Sables d’Olonne accueillent deux soirées riches en rencontres, nouveautés et rebondissements.


A mi-chemin du festival, les Sables d’Olonne accueillent deux soirées riches en rencontres, nouveautés et rebondissements.

Le 29 juillet, c’est au Théâtre de Verdure, qui donne sur le remblai et la mer, que l’on découvre Five 38 et Extension des feux. Five 38 comprend Fanny Lasfargues à la guitare basse et Rafaëlle Rinaudo à la harpe ; Extension des feux est composé du trio Journal intime - Frédéric Gastard, Sylvain Bardiau, Matthias Mahler - et des invités Marc Ducret et Vincent Peirani.

Rafaëlle Rinaudo et Fanny Lasfargues © Christian Taillemite

D’un côté, les deux jeunes femmes, qui côtoient la galaxie Coax, déjouent les attentes des vacanciers sablais avec des improvisations rock et des chansons parsemées d’effets électroniques qui en sèment plus d’un. L’ambiance est électrique, et les morceaux planants étirent le temps. De l’autre côté, la guitare de Ducret épouse l’écriture savante et cérébrale des soufflants de Journal intime, qui laisse malheureusement peu de place à l’accordéon de Peirani.

Le lendemain, rendez-vous au Musée de l’Abbaye Sainte-Croix pour écouter Joëlle Léandre en solo non pas totalement improvisé, comme c’est le cas d’habitude, mais préparé en compagnie du souvenir de Gaston Chaissac, à qui le musée consacre une exposition. Ami de Dubuffet, avec qui il entretint une correspondance, Chaissac est un maître de l’art brut. Ni une ni deux, Joëlle Léandre se transforme elle aussi en artiste brute - ce qu’elle était finalement déjà un peu - et ajoute des fils de fer à ses cordes de contrebasse, pour ensuite les passer énergiquement à la brosse. L’instrument devient alors un jouet totalement déconnecté de sa fonction première, matériau détourné en machine à sons premiers, accompagnés par la voix de la musicienne. Trois coups de ciseaux plus tard, l’objet, débarrassé de ses fils, redevient contrebasse et Léandre se jette dedans pour recréer la sensation de peintures faussement naïves, apparemment colorées comme on colorie un dessin et construites sans en avoir l’air. Elle joue en regardant des reproductions, et nous l’écoutons en observant les tableaux qui l’entourent, au milieu de la galerie. Bientôt, son chant se fait plus petit, frêle, aigu comme le filet de voix d’une petite fille, et la mélodie, dans toute sa simplicité, nous convie au bal des enfants - ou au bal d’adultes qui joueraient à être des enfants.
Le jeu se poursuit avec Elise Dabrowski, pour un duo éclair de voix-contrebasses où les corps et les instruments semblent se fondre par la magie de l’imagination.

Joëlle Léandre © Christian Taillemite

Le soir, on passe dans le Prieuré Saint-Nicolas, une chapelle située à la pointe du port, dernier édifice avant l’océan. Emilie Lesbros s’y produit en solo et prouve en quelques mesures qu’elle s’est magnifiquement ancrée dans la chanson folk, riche de ses expériences improvisées. Interprétées à la guitare et à la voix, ses paroles révolutionnaires prennent dans la chapelle vendéenne une savoureuse dimension satirique. Elle vient d’enregistrer un disque qui sortira dans les prochains mois.

Enfin, elle cède la place au duo Elise Caron - Marc Ducret, respectivement chant et guitare. Elise Caron, à la flûte et aux voix, se lance d’abord dans une improvisation monacale en s’appuyant sur les caractéristiques du lieu. Ce sont de longues nappes sonores, dans une langue ésotérique, des mélismes. Mais elle ne trouve pas d’interlocuteur pour relancer ses paroles et dialoguer. Marc Ducret joue trop fort. Il reprend à l’oreille quelques-unes de ses phrases, mais ne propose rien. Elise Caron se perd progressivement dans une attente monotone. Plus le temps passe, plus le guitariste enchaîne des bribes de phrases, identiques à celles jouées la veille avec Journal intime. Le concert prend une tournure étonnante quand la chanteuse se met à piétiner sur scène - énervement mi-réel, mi-joué. Elle crie et simule la colère devant un Ducret qui ne semble pas s’apercevoir qu’elle ne joue plus vraiment la comédie. Acrobate et facétieuse, habituée aux registres les plus déséquilibrés, Elise Caron est écrasée par la force d’inertie qui lui est opposée. Pire encore, le guitariste, pendant le dernier morceau, s’arrête net et, devant un public amusé par ce qu’il croit être une plaisanterie, demande à la chanteuse d’arrêter de modifier les tonalités de ses interventions sonores. Le fat professeur fait la leçon à l’élève impétrante.

Ce qu’il n’aura sûrement pas vu, ce monsieur, c’est à quel point Elise Caron, même malmenée, même petitement accompagnée, est restée de bout en bout une grande dame. Elle a cherché jusqu’à la fin à proposer des directions pour improviser. Elle a terminé le concert. Elle est restée digne et souriante, elle a pris sur elle pour jouer le jeu de l’ingénue rabrouée par l’expert. Elle a su improviser devant ce manque d’improvisation. Ce soir là, c’est elle qui a donné une leçon de professionnalisme et de dignité.

par Matthieu Jouan , Raphaëlle Tchamitchian // Publié le 2 août 2014
P.-S. :

Vague de Jazz se poursuit avec les concerts de Whahay, Le Roi pêcheur, Duo Dabrowski-Chevillon, ONJ Olivier Benoit, Single Room et TOONS.